Dans le contexte très particulier dans lequel sort "The Ghost-writer", il est difficile de faire la part entre les qualités du film qui lui ont valu l'Ours d'Argent à Berlin ainsi qu'une très bonne critique en France, et la volonté de manifester une forme de soutien au réalisateur. L'écart sur Allociné entre la notation moyenne des critiques de presse (3,6/4) et celles des spectateurs (2,6) est d'ailleurs symptomatique, et rappelle le décalage entre les réactions de Frédéric Mitterrand et de la grande majorité des intellectuels et celles exprimées dans les sondages il y a quelques mois.
Il y a des effets de l'affaire Polanski sur les conditions de tournage (les scènes dans l'île américaine ont été tournées en Allemagne) et de montage (finalisé à distance par le réalisateur assigné à résidence). On peut aussi s'adonner au petit jeu des messages cachés, comme certaines répliques qui prennent une dimension prémonitoire :"Il était irremplaçable, et pourtant il a fallu le remplacer", "Donc, je ne peux quitter les USA" ou "Nos enfants sont plus puritains que nous l'étions". Cependant, l'essentiel est ailleurs : "The Ghost-writer" est avant tout un film, et singulièrement un film de Polanski reconnaissable à des thèmes qui traversent toute l'oeuvre du réalisateur du "Locataire" : le complot, le huis-clos, les faux-semblants et l'ambiguité de ceux qui se présentent comme défenseurs du bien.
Et comme film, il est magistralement réussi, certainement un des meilleurs de Polanski depuis "Tess" (je n'avais pas été enthousiasmé par "Le Pianiste"). Il réussit d'emblée à créer à la fois le suspens et l'ambiance, par une scène qui rappelle bizarrement celle de "Shutter Island" : un ferry surgissant de la brume, les voitures qui en sortent, évitant une grosse BMW qui reste en soute, puis la police qui s'active autour de la voiture sur le quai, enfin l'image d'un corps découvert par la mer, réminiscence du début de "Jeune et Innocent". La référence à Hitchcock n'est pas fortuite, car les parallèles sont nombreux, tant dans la construction de l'intrigue à la "Topaz" que dans l'utilisation des décors, la villa d'Adam Lang rappelant celle de Vandamm dans "La Mort aux Trousses".
Le scénariste, Robert Harris, a puisé dans son expérience de journaliste politique durant les années Tony Blair pour rédiger le scénario de son roman, "L'Homme de l'ombre". Il avait déjà écrit des romans historiques comme "Enigma", sur la découverte du code de la machine de cryptage allemande durant la seconde guerre mondiale, "Archange" sur les dernières années de Staline, et surtout un roman uchronique, "Fatherland", qui se déroulait en 1964 dans un Berlin dirigé par Albert Speer et se préparant à la visite du président Joseph Kennedy. Comme dans ce roman où l'enjeu réel était la conférence de Wannsee, l'objet du suspens se trouve être un fait réel, à savoir la révélation de la soumission du premier ministre britannique aux Américains durant l'intervention en Irak.
C'est sans doute là que réside la fragilité du scénario : il n'est point besoin de risquer sa vie sur une île au large de Cape Cod pour découvrir la politique étrangère ultra atlantiste de Tony Blair, il suffisait pour cela de regarder cinq minutes la télévision en 2003. Cependant, si on accepte de considérer cet enjeu comme un simple McGuffin, la narration suffit à captiver le spectateur, notamment grâce à un sens du rythme (malgré des longueurs aux deux tiers du film), à une façon de présenter les personnages comme s'ils cachent tous quelque chose, et à une maîtrise de la composition impressionnante que j'illustrerai par deux plans : celui où, en plan fixe, on voit Ewan McGregor s'apprêter à quitter sa chambre dans la villa avec au premier plan le manuscrit, et le plan final où tout se passe en hors champ.
"The Ghost-writer" est un thriller à l'ancienne, où malgré sa durée (2 h 08) aucune scène, aucun plan n'est inutile et où la virtuosité n'est jamais gratuite. Pierce Brosnan incarne le politicien toujours sous contrôle avec une élégance glaçante, alors qu'Ewan McGregor donne vie avec subtilité à ce nègre sans nom, dont la principale qualité d'écrivain de biographies, à savoir la volonté de comprendre ses sujets, finira par entraîner la perte. Sans être le chef d'oeuvre annoncé par certains, faute d'un enjeu supérieur à la révélation de ce que tout le monde sait, et malgré la musique envahissante d'Alexandre Desplats, ce dix-septième film de Polanski mérite d'être vu, pour la leçon de mise en scène qu'il propose.
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