Tout se perd ! David Cronenberg, le prodigieux réalisateur de "Crash" et du "Festin nu", est devenu un gros bouffeur de foie gras et un accro au champagne qui assouvit ses tocs de pique-assiette dans tous les festivals de cinoche mondains (pléonasme ?). C’est là la seule explication plausible que je trouve à son soporifique et laborieux, "A Dangerous Method".
Sur papier, je lui laissais une chance : Cronenberg nous a conquis à de nombreuses reprises par son impertinence, son alliance artistique avec Viggo Mortensen a produit des films intéressants (et d’autres moins), je me faisais une joie de retrouver Michael Fassbender, et les échanges entre Freud et Jung m’intéressaient. Seulement voilà, le résultat est déplorable. Un film académique, bavard à outrance, sans le moindre rythme, creux, qui laisse de marbre. Et qui, dans ses meilleures déclinaisons, agace. C’est pénible de voir le film avorter du moindre élément qui pourrait créer l’intérêt ou, soyons fous, l’engouement. Le personnage interprété par Vincent Cassel, par exemple, qui offre une scène voire deux sortant le spectateur de sa morne léthargie, est aussitôt évincé. Comment ? Pourquoi ? Ce bon David ne s’embarrasse pas de ces détails. Il semble se contrefoutre de l’ennui dans lequel il berce son public. Ses personnages s’écoutent parler (c’est insupportable !), se regardent jouer et s’enlisent dans des dialogues sirupeux, pompeux, pseudo-psychanalytiques, prouteux au possible, tout fiers de bercer dans l’univers de Cronenberg. Oh comme tout cela serait mignon tout plein si seulement le film proposait quelque chose, prenait l’once d’un petit semblant de risque. Il n’en sera rien. Beaucoup de fumée et pas grand feu. Même pas une petite étincelle. Et la forme ne vient même pas sauver le fond, c’est dire ! Tout s’enchaîne sans la moindre dynamique, sans le moindre émerveillement, ni même une pointe de dégoût, de colère, de stupeur, de choc, de dérangement : rien, juste un ennui engourdissant, sinon pas la moindre réaction chimique humaine.
Finalement, le seul élément qui réveille les sens réside dans la prestation putassière de Keira Knightley, interprétant Sabina Spielrein, jeune femme souffrant d’hystérie, patiente de Jung qui deviendra rapidement sa maitresse. Si la brave fille nous avait habitués à un jeu fade, mono-expressif (en bonne cousine de Kristen Stewart, elle a 3 expressions fétiches et les use jusqu’à la corde, jusqu’à la répudiation), elle s’était rarement autant donnée pour surjouer et friser le ridicule que dans "A Dangerous Method". Cette prestation est à marquer dans les annales du goût douteux. Objectivement, on sait bien à quel point les rôles d’hystériques et autres maladies psychiques sont casse-gueules à interpréter, mais ça n’excuse pas un tel massacre. Comment peut-on pondre un film sur les prémisses de la psychanalyse en laissant l’actrice principale verser dans le monstrueux, le pathétique, usant de sa mâchoire proéminente (je ne m’y ferai jamais) pour singer (je ne vous ferai pas la blague de rapprocher son facial à celui d’un gibbon, mais presque !) les affres de l’âme telle une actrice d’Amour, gloire et beauté ? A trop vouloir s’attirer les critiques de complaisance et à gratter des points (et des gros billets) au box-office, Cronenberg se perd dans un cinéma académique (et encore c’est dur pour les films académiques mais du reste intéressants), mou du genou comme le Pape Benoit XVI (un autre singe, tiens), sans la moindre empreinte cinématographique et sans un gamète de folie (ça la fout mal). Avec ses acteurs pour teenagers (Keira Knightley ici, Robert Pattinson là), le recyclage de ses vieilles armes, gentiment emmitouflé dans son plaid, charentaises aux pieds, que reste-t-il du grand Cronenberg ? Pour ma part, un goût amer, mais toujours l’espoir d’un retour fracassant, dangereux et incendier. Allez, on y croit !