Bon film de David Cronenberg, en mode intimiste, sur la relation amicale, sexuelle, et professionnelle de trois personnages : Sabina Spielrein (moyenne Keira), patiente du psychiatre Carl Jung (décidément très bon Michael Fassbender, qui enchaîne les volets licencieux), et vient à entrer en relation avec le "père" de Jung, Sigismond himself (Viggo). Film intimiste donc, mais pas intime, au sens où A dangerous method développe une réflexion qui mine Cronenberg depuis ses tout premiers films, à savoir la thèse selon laquelle tout est sexuel - le sexe, c'est entendu, mais aussi manger, parler, respirer, et aussi penser, mais surtout ne pas penser (vivre, pour la faire courte). Cette intuition fantasque, fantasmée de Cronenberg, déjà esquissée par quelques personnages dans les Seventies et poursuivies jusqu'au plus récent Crash, sonne comme une des antiennes du réalisateur, explorateur s'il en est des coutures, des prothèses, des métamorphoses du corps. Ici la thèse "tout est sexuel" s'incarne dans le personnage du bon vieux Dr. Freud, et sa thèse pan-explicative de la libido. En dissenssion de plus en plus nette avec cette thèse, Jung of course, qui refuse ce principe explicatif universel trop facile : les fractures du moi et de la conscience n'ont pas une origine purement sexuelle, et la psychanalyse, sauf respect pour le grand-père, doit s'ouvrir à d'autres sphères sous peine de pérécliter.
Le problème de Jung, évidemment, c'est cette hystérique de Spielrein, qui non seulement prouve la thèse de Freud - origine sexuelle de sa folie - mais en plus le rend fou, lui, Jung - le film joue, sans trop approfondir, sur ce renversement, mieux cette réversibilité entre fou et médecin, chacun des trois personnages manifestant à l'excès leur dualité : Spielrein hystérique et bientôt médecin, Jung médecin et fou affectif de Spielrein, Freud médecin-père et fou-père, ne lâchant sur aucun point de ses thèses pour maintenir son autorité sur Jung en même temps que la survie de l'institution psychanalytique. Le problème est donc toujours le même : l'anomie des désirs et des pulsions. Problème évidemment contemporain, au plus grand plaisir de Cronenberg : qu'est-ce qui peut légitimement normer, c'est-à-dire ici régler, mesurer, réfréner, le sexe, la libido, l'intensité ? Si Jung succombe à son désir, il répond à celui de Spielrein, et, en couchant avec elle, prouve Freud (enfin, moins Freud qu'Otto, hyperbole de la thèse freudienne et sorte de monstre esclave de ses désirs, conduit par l'unique maxime : "ne rien refouler en soi").
A dangerous method n'est pas raté, sans être abouti : hésitant entre un drame sentimental et un biopic sur les deux pères de la psychiatrie moderne, Cronenberg joue simultanément sur les deux plans de la relation (affective) Jung-Spielrein et (scientifique) Jung-Freud, sans gagner en intérêt ni en passion. La réalisation est très bonne, cela va sans dire, mais l'intrigue manque d'un quelque chose pour décoller - même si les deux plans, encore une fois, sont bien traités, et même articulés. Keira en fait un peu trop, et nuit au jeu des deux autres acteurs, Mortensen et Fassbender, fascinants et justes. La musique, mouais. On attend tout de même davantage de Cronenberg. Manquent finalement, peut-être, une originalité, une folie, une ambition sur le fond et la forme : 15/20.
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