Mr Cronenberg a l'air d'avoir perdu sa vigueur. Voici un film formellement excellent mais fade, trop sage et rigide. Il nous impose des dialogues plutôt soporifiques, à la pertinence douteuse et dénués d'alacrité, excepté lors de l'échange chétif mais à effet bascule entre Carl Jung le conservateur mystique et le révolutionnaire communiste Otto Gross. En passant, A DANGEROUS METHOD a le mérite de parler de cet oublié de la psychanalyse (que d'aucuns apprendront ainsi à connaître); toutefois, le chaud souffle trop peu sur le froid! Cet anarchiste autrichien, joué par un Vincent Cassel déjà vieux pour le rôle (à sa première rencontre avec Jung, il avait 28 ans), semble insuffisamment exploité. Jung l'a pris en cure, ce qui n'apparaît quasiment pas; pas plus que le passage d'Otto Gross auprès de Freud, sa rupture avec le dualisme psychique freudien et son apport œcuménique, très alternatif. De telles approches auraient tant apporté au film, dans la confrontation vertigineuse des thèses défendues à l'époque! A Gross l'approche biologique, à Jung la métapsychique mystique, à Freud l'inconscient mythologique. Mais non, c'est autour de Sabrina Spielrein, qui introduit le concept de pulsion de mort dans la sexualité, que l'histoire tourne. De même, les dissensions entre Jung et Freud sont très superficiellement présentées. Cronenberg élague jusqu'au terme technique fondamental de la synchronicité, bien que le personnage de Jung l'exprime autrement, ce qui est un comble, pour le père de cette théorie! Les positions analytiques respectives restent survolées: le film aurait gagné à durer plus longtemps, en troquant bien davantage le discours intellectuel pour l'expression manifeste de sa genèse. Vouloir montrer comment Carl Gustav Jung s'est dissocié intellectuellement de Sigmund Freud, est-ce bien intéressant cinématographiquement parlant si l'on s'en tient aux deux romans sur lesquels se fonde le film? Non, sauf en cas d'échanges bien plus denses et accrocheurs, de rythme plus enlevé, et encore, le téléfilm voire la série pourraient sembler des supports préférables à cet exercice. Viggo Mortensen, désormais fétiche de Cro', trahit parfois un côté cowboy -pour incarner Freud; ça craint sur les bords. Pour sauver le film, il aurait fallu au moins (mal-)traiter les corps (entre Carl et Sabrina), sans cette fausse pudeur cérébralisante qui n'apporte qu'ennui amusé et passable fadeur. Et ce ne sont pas les initiales grimaces prognathes de Miss Knightley et autre soufflet manqué qui suffiront à combler le manque de chair. Et puis Emma, la trop lisse épouse de Jung (si peu vieillie, après ses trois naissances), se montre d'une impassibilité éreintante. Il est triste que Cronenberg, n'en déplaise à certains, ait à ce point renoncé à l'expression de la transformation organique dont il se fit spécialité. On eût pu attendre du film une atmosphère suffisamment sombre et des rapports assez dérangeants pour nourrir un malaise révélateur. Or A DANGEROUS METHOD ne révèle de fait rien qui n'apparaisse tellement «dangereux», si ce n'est d'un point de vue très bourgeois. Le feu de l'angoisse né de l'écart conjugual qui accapare le psy-analyste se trouve trop bien maîtrisé pour que soit réellement chamboulée sa petite vie, qui finalement conserve une allure aussi tranquille que les eaux du lac suisse qu'il contemple depuis sa riche demeure. D'un point de vue psychanalitique, David Cronenberg a déclaré préférer Freud à Jung: pour ma part, ma préférence s'oriente sur Jung, hors considération confessionnelle. C'est en outre étonnant, puisque Jung défendait une nature organique de la démence précoce, thème cronenbergien au possible! Je reconnais dans ce cas le mérite du réalisateur de s'être abstenu, dans son œuvre, de prendre expressément parti pour l'un ou pour l'autre. Cependant, cet effort d'objectivité finit par tendre à la tiédeur, rejoignant le regrettable effacement personnel dont fait ici preuve le cinéaste, quitte à se perdre lui-même. Ses prochains projets semblent pourtant manifester un renouement avec l'orientation fantasque; ainsi aurait-il saisi là les limites de la virtuosité classique, qui tend à étouffer sa patte. Dommage car le sujet des névroses pathologiques promettait bien des surprises. Occasion ratée par Cronenberg, qui livre là une fiction extrêmement léchée mais à la portée significative tronquée voire anecdotique. Bel appât, résultat peu tenace.