Eli Roth est l'un de ces réalisateurs que j'aime par ce qu'il m'inspire. Son diptyque Hostel fut une révélation, Cabin Fever un film de genre annonciateur, The Green Inferno quelque peu décevant cela dû à une attente trop grande après les déboires de la production et Knock Knock un film prenant et intéressant avec lequel je ne suis pas objectif ayant rencontré le réalisateur lors d'une conférence. Ainsi, j'attendais toutefois Death Wish avec appréhension, le metteur en scène se détournant de son genre de prédilection au fur et à mesure de ses réalisations. La preuve : son prochain long-métrage est un film pour enfants. Le parti-pris reste intéressant, car il montre qu'Eli Roth n'est pas que cet aficionados du sang et des larmes, mais aussi du cinéma bis et des années 70.
Le premier Un Justicier dans la ville est sorti en 1974 avec en rôle-titre Charles Bronson, un film que l'on pourrait banaliser en bête et méchant mais qui s'avère plus fin que cela. Ce remake déplace son histoire à Chicago, ville où la criminalité prend de plus en plus de place, et à notre époque contemporaine. Eli Roth modernise donc l'oeuvre culte de Michael Winner et réussit son adaptation. Death Wish est un bon film, à défaut de ce que laissait présager la bande annonce quelque peu conventionnelle. Si le film n'évite pas quelques écueils dans sa construction narrative, il se révèle prenant et palpitant grâce au travail du metteur en scène. Usant de splitscreens pour illustrer le dilemme moral du personnage (à la fois donneur et preneur de vie), ayant recours aux talk-shows pour débattre au sujet de notre héros (ce qui conduit à des réflexions particulièrement intéressantes sur la justice) et ne tombant pas dans une vulgarité outrancière dans les mises à mort ou même dans les agissements des personnages, Eli Roth signe avec Death Wish un remake nécessaire et moderne à l'heure de l'industrie super-héroïque et d'une nouvelle ère de vigilantes (John Wick, Death Sentence, Kick-Ass, J'ai rencontré le diable). Réussi sur sa mise en scène, le film bénéficie également d'une réalisation convaincante. En effet, à l'inverse des précédents films d'Eli Roth, l'action démarre in medias res après vingts minutes d'exposition travaillées et saisissantes, où la famille nous est présentée dans un calme naturel encore loin du chaos qui avance. La partie posée et familiale est bonne, les personnages sont attachants. La force du long-métrage réside également dans sa réussite à juxtaposer une ambiance familiale attachante et une atmosphère sombre et pleine de vengeance. Aucune partie ne se supériorise à l'autre, elles se répondent et se reflètent.
Bruce Willis est aussi le reflet de sa gloire passée, avec les Die Hard et autres films pré-2000. Il campe ici un père de famille désireux de vengeance face à une police n'agissant point, une réplique vient d'ailleurs souligner ce fait : « la police arrive quand le crime a déjà été fait ». Bruce Willis, à défaut de retrouver la grandeur de ces anciens personnages, offre une bonne prestation, parfois en nuances et nous fait nous attacher à cet homme qui a tout perdu. Vincent d'Onofrio est tout aussi fort, tout comme Dean Norris. Le film ne se base pas sur un casting particulièrement prestigieux, ce qui renforce le propos de volonté de mise en scène. Peut-être un film de commande, mais aussi la vision d'un auteur qui a grandi devant des films de ce statut, violent mais intelligent. La violence dans ce film n'est pas gratuite. Elle est ici sujet à débat mais est toujours justifiée. La vision du héros est ainsi prise en nuances, offrant une palette d'arguments face à la nécessité d'en avoir ou non au quotidien. Si l'on peut se défendre nous et notre famille au sein de notre propriété, pourquoi ne le pourrions-nous pas en dehors pour aider des personnes en besoin ? Par éthique ? Pour la moral et la conscience et non pour l'humanité ? Ceux qui agissent n'en usent pas. Mais est-ce une raison pour faire de même ? Un héros peut-il être un homme seul endossant toutes les peines du monde ? Est-il quelqu'un qui se dévoue à une cause générale ou peut-on le considérer comme tel bien que sa quête soit purement personnelle ? Cette figure est ainsi bousculée par les questions que posent le film mais aussi celles entraînées dans notre esprit.
Death Wish est une oeuvre qui paraît dénuée d'intérêt après de nombreux films sur le sujet, mais qui propose au final un rendu prenant et sans ennui, où le simple prétexte à une violence démesurée s'avère nettement plus travaillé et surprenant. Si le film ne brille pas par son originalité, le talent de metteur en scène d'Eli Roth fait qu'il livre un bon film où il peut paraître certes pris dans les mailles de la MGM mais où son style a parfois des fulgurances et j'attends avec impatience son prochain film où il change encore une fois de registre et de public. Death Wish est une oeuvre sur l’Amérique d'aujourd'hui, mais aussi sur notre propre condition d'être humain, et même si la vision de Joe Carnahan a été quelque peu coupée (pouvant rendre un film cynique et terriblement choc) il reste totalement divertissant.