Véritable auberge espagnole poético-fantastique, "Phenomena" est un film déconcertant, traversé par de nombreuses fulgurances, mais aussi marqué par des dérapages dignes d'une série Z. Le récit n'a jamais été le point fort des films d'Argento, qui est avant tout une créateur de formes. Ici, il fonctionne par glissements intempestifs (on commence avec un giallo en pleine montagne, puis on bascule dans le conte, avant de flirter avec le film d'horreur), selon une logique poétique qui est à la fois la force et la faiblesse du film. Car, si le film décolle souvent (les magnifiques scènes nocturnes de somnambulisme, le panthéisme des séquences forestières, toute la fin qui prend des allures d'Alice au pays des merveilles gore), il se grippe dès qu'on revient sur le terrain du familier (l'univers caricatural de la pension, le rôle poussif de Donald Pleasance, qu'on a connu plus inspiré, le ridicule inspecteur de police, ,etc). Argento a toujours été inégal, certes, (sauf dans son chef d'oeuvre, "Suspiria", objet cinématographique parfait), mais jamais encore il ne nous avait embarqué dans de telles montagnes russes de contrastes (jusqu'à la musique qui alterne d'absurdes morceaux de hard rock avec une magnifique composition des Goblin). Phenomena est sans aucun doute une oeuvre à part dans la carrière d'Argento : film transgenre qui épouse la logique des rêves, c'est aussi un des plus tendres qu'il ait réalisé (la grâce incroyable de Jennifer Connely, qui fascine visiblement le cinéaste, n'y est pas pour rien). On regrette d'autant plus ses faux pas qui viennent régulièrement casser l'état d'apesanteur que le film parvient malgré tout à instaurer. D'un autre côté, cet iconoclasme donne aussi à "Phenomena" une allure de manifeste surréaliste qui est peut-être la véritable clé pour rentrer dans ce film étrange.