Avec maintenant quatre films, Albert Dupontel tient une place à part dans le cinéma français. Même si "Le Vilain" partage avec les films de Jean-Pierre Jeunet la même photographie trempée dans le thé, et si la musique de Christophe Julien a parfois des accents à la Yann Tiersen, le style de l'auteur de "Bernie" est devenu bien reconnaissable, avec une forme inspirée des cartoons de Tex Avery : plongées et contre-plongées vertigineuses, usage systématique du grand angle, travelings compensés, alternance de scènes étirées et de scènes ultra-speed soulignées par une musique survitaminée (mention spéciale à Surfin'Bird des Trashmen, clin d'oeil à "Full Metal Jacket").
Après la chronique d'un psychopathe ("Bernie"), les affres d'un auteur en panne ("Le Créateur"), et la fable sociale ("Enfermés dehors"), Albert Dupontel s'attaque à ce qu'il appelle un Oedipe non réalisé : "Dans mon errance narrative, je suis tombé sur un sujet qui m'intéressait : les relations parents-enfants. Cela suppose nécessairement d'être plus proche des personnages et plus éloigné des cavalcades qui étaient l'apanage de mes autres films. Le terrain d'affrontement est cette maison, ce huis clos, et je suis opposé à la force tranquille qu'est le personnage de Catherine Frot. C'est elle qui amène ce rythme. C'est effectivement mon film le plus sobre sur le plan filmique, mais cela découle du scénario."
Il a aussi raconté qu'au départ, il avait travaillé sur l'histoire d'un ange arrivé sur Terre pour s'occuper d'un voyou irrécupérable, et qu'en cours d'écriture lui était venue l'idée de remplacer l'ange par la mère, afin de préciser son envie d'affrontement entre le Bien et le Mal. Dès le début, il a fait le choix de Catherine Frot plutôt que d'une actrice ayant l'âge du rôle, afin de ne pas s'enfermer dans une représentation réaliste, et de permettre à Maniette d'avoir l'énergie d'un personnage de cartoon. Catherine Frot a activement participé à la création, s'inspirant pêle-mêle du portrait de la mère de Hockney, de la Granny de Titi et Gros Minet, d'Helen Mirren dans "The Queen" et de sa propre grand-mère.
Ce choix s'avère plutôt judicieux, puisque Catherine Frot n'apparaît pas prisonnière d'un personnage de petite vieille, le maquillage se limitant à un latex qui lui donne l'apparence d'une pomme ridée, et qu'elle peut, comme elle l'explique elle-même, apporter un contre-rythme à celui d'Albert Dupontel. L'opposition entre la vieille dame digne et l'affreux jojo fonctionne, et permet à Dupontel d'exceller dans son personnage d'hypocrite, retrouvant par moment les accents de ses meilleurs sketchs.
Malheureusement, la férocité du ton s'estompe progressivement, au profit d'une humanisation du fiston qui se découvre des sentiments pour sa mère. Par ailleurs, Albert Dupontel explique sur son blog qu'il ne se considère pas comme un auteur de comédie : il écrit une histoire, puis il essaie "de faire coïncider gags et dialogues, scènes et cascades à la structure, laquelle ne s’y prête pas toujours". Cet aveu est intéressant, car il m'explique le sentiment mêlé que j'ai eu à la vision du film, passant d'une scène que je trouvais hilarante (la troisième blessure par balle de Sydney) à une autre qui me laissait de marbre, voire gêné devant le flop qu'elle faisait.
Laissons le mot de la fin à Dupontel, qui porte un regard réaliste sur son oeuvre: "ce sont des potacheries, c'est pour ça que je ne veux pas qu'on prenne mes films trop au sérieux, car dans le fond, ils ne le sont pas." A cette condition, et nonobstant l'admiration avouée par Terry Gilliam et Terry Jones, "Le Vilain" présente un agréable divertissement, laissant en creux le film cruel et déjanté qu'il aurait pu être.
http://www.critiquesclunysiennes.com