Les hasards de la distribution m'ont amené à voir mes deux premiers films islandais en moins d'un mois. "Jar City" n'émarge pas dans la même catégorie que "Back soon", celle de la comédie décalée, mais il partage avec le film de Solveig Anspach de nombreux aspects, comme une vision plutôt désabusée de l'islanditude, ou l'intégration des imposants paysages comme personnage à part entière, photographiés dans les deux cas par Bergsteinn Björgulfsson.
Quand il découvre la scène de crime, l'adjoint de l'inspecteur Erlendur lâche ce commentaire : "C'est un crime typiquement islandais : bordélique et sans intérêt", faisant écho à la qualification d'"Alcatraz du Nord"d'Anna Hallgrimsdottir. Les tours et détours de l'enquête nous conduisent dans des grands ensembles (si, si, il y en a, ils ont juste pour toile de fond la montagne enneigée), dans une prison bien moins pittoresque que celle de "Back soon", dans une morgue, et dans l'équivalant du Musée Dupuytren des curiosités médicales, loin des images des dépliants touristiques. Baltasar Kormakur l'assume pleinement : "Cette partie de l'Islande est comme l'une des pièces de la maison qui nous gêne et qu'on évite de montrer aux invités."
Dès le début du film, on voit un employé signer un document dans les locaux d'une société privée qui collecte les données génétiques sur 95 % de la population islandaise depuis 1703, soit 700 000 personnes. Cette société, DeCode Genetics, existe réellement, et on voit d'ailleurs son directeur répondre à une interview. L'employé va ensuite à l'hôpital, au chevet de sa fille qui est en train de mourir d'une maladie orpheline, la neurofibromatose. Le film nous raconte ensuite en parallèle le deuil de ce père, et l'enquête de l'inspecteur, confronté lui aussi aux difficultés de la paternité avec sa fille junkie, et il faudra attendre les deux tiers du film pour que les deux actions se rejoignent, un peu comme dans "Les Rivières Pourpres", autre polar s'appuyant sur une utilisation délictueuse de la science et plaçant le cercueil d'une fillette au coeur de l'intrigue.
L'atmosphère est pesante, comme on peut l'imaginer avec une action qui commence par la mort d'un enfant et sa toilette funéraire sur fond de berceuse chantée par une chorale d'hommes, et qui continue avec une exhumation, et la découverte d'un corps en décomposition. Les personnages semblent assortis à la rudesse du paysage et du climat, dans ce pays où la demande de manger végétarien déclenche l'agressivité, et l'inspecteur Erlendur qui se délecte d'une tête de mouton (sûrement la scène la plus gore du film !) ou qui enfume sans vergogne son adjoint n'a pas grand chose pour attirer la sympathie. La photographie bleutée à gros grains accentue cette dureté, ainsi que le choix des décors, comme ce cimetière au bord de la mer qui rappelle le village de Bess dans "Breaking the Waves".
Souvent bien maîtrisée, la réalisation dérape parfois vers la facilité, comme la phrase prononcée par une personne interrogée par l'inspecteur : "Rien n'est plus terrible que la mort d'un enfant", et qui est immédiatement suivie d'un plan du père en deuil seul dans la chambre de sa fille. Par contre, la louable intention de Baltasar Kormakur de ne pas tomber dans une stylisation de la violence à l'américaine garantit une tenue à l'ensemble, dans un film où la complexité de l'intrigue importe moins que le climat psychologique qui baigne le récit.
Reste une interrogation naïve qui me tarabuste depuis la vision du film : pourquoi, dans un polar construit autour de la génétique, l'Inspecteur Erlendur n'a -t-il pas fait analyser l'ADN du sang sur le carreau ?
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