A l'heure où la dictature capitaliste n'arrive même plus à cacher son échec (crise des subprimes ou spéculation sur les matières premières), il est salutaire de voir un film qui en revient à l'essence même de l'homme. Versailles parle en effet de celles et ceux qui sont depuis longtemps sur le bord de la route et dont on parle sur les plateaux de télé sans jamais les avoir regardés. Nina est agressive, protectrice, à fleur de peau. Lorsqu'elle trouve un abri de fortune pour son fils et elle, les bruits autour sont toujours présents, la violence du monde ne la laisse jamais en paix. Même sa rencontre avec Damien, exclu volontaire (du moins est-ce le statut qu'il semble revendiquer) est explosive : deux exclus face à face mais deux mondes opposés, la désillusion transformée en arme de survie, l'espoir encore présent de sauver sa vie. Puis Nina part et laisse Enzo, son fils, entre les mains de Damien. Là non plus, pas de tendresse. Le gamin encombre, casse le quotidien, force à vivre autrement : il y a un être à protéger. Enzo est davantage un petit animal qu'un enfant tant il a du mal à comprendre la complexité du monde qui l'entoure. Il parle peu, tout passe par son regard. Un enfant a besoin de stabilité, tout autour de lui est précaire. Lorsqu'il se raccroche à quelque-chose, l'équilibre est fragile. Il lui faut sans cesse se réadapter, se raccrocher. Versailles n'est pas un film bavard. Il ne donne pas de leçons. Âpre, brutal, sans concession, mêlant rêve rousseauiste et peinture sociale, il nous montre à voir ceux qu'on ne regarde jamais, dans toute leur complexité et leur humanité. Le cadre est travaillé, la mise en scène sobre, la musique discrète, l'interprétation excellente. On sort littéralement de l'univers habituel du cinéma français. En choisissant d'opposer les ors de Versailles, aux bâches des cabanes, osant une extraordinaire scène d'Enzo cherchant de l'aide au château, Pierre Schoeller, nous rappelle que la société des privilèges règne toujours.