On passera rapidement sur le marketing douteux de Wild Side pour ces éditions : changement de jaquette pour faire plus « action badass », changement de titre (Le Guerrier silencieux – Valhalla Rising devenant Valhalla Rising – Le Guerrier des ténèbres) dans cette même optique et vente en bundle avec Outlander, série B foirée avec des Vikings (coïncidence ?) et un mec de l’espace… Ne vous laissez pas tromper par ces apparences racoleuses, le film n’a rien d’un actioner bourrin. Loin de là. Pour finir, le slogan de la jaquette est, dans le même esprit, aussi ridicule qu’hors de propos*…
Parlons plutôt du film, ou plutôt de l’expérience, Valhalla Rising – Le Guerrier des ténèbres faisant partie de ces films qui n’ont pas nécessairement besoin d’être compris pour être appréciés, mais qui proposent une expérience viscérale de par son ambiance, ses images et, très important, son traitement sonore. On pourra citer à titre de comparaison (toutes proportions gardées) Eraserhead et INLAND EMPIRE de David Lynch ou le célèbre 2001 de Kubrick. Les films de Tarkovski, notamment Stalker, sont également des influences évidentes de ce long métrage. L’histoire importe donc peu, ou plus précisément, la compréhension absolue de tous ses tenants et aboutissements (Internet est là pour combler les trous de ce film plus historique qu’il n’y paraît…), car la force du film réside dans sa capacité à immerger immédiatement le spectateur dans une ambiance pesante et brutale, et à représenter un monde tellement éloigné du nôtre qu’il semble se trouver sur une autre planète.
Convoquant tous nos sens, Valhalla Rising (au diable le sous-titre opportuniste de Wild Side) est un film qui se ressent plus qu’il ne se comprend. Cependant, si l’histoire est basée sur des évènements tout à fait historiques – les débuts du christianisme en Scandinavie, terre des Vikings, dont certains de ces derniers sont partis évangéliser l’Amérique du Nord, Winding Refn ne nous assomme pas d’une scolaire leçon d’histoire, mais privilégie le parcours initiatique de ses personnages et l’austérité quasi-mystique des décors (naturels) pour développer un discours plus ouvert que la seule description d’un passage méconnu de l’Histoire : on peut y voir une réflexion sur le Bien et le Mal et leur lutte perpétuelle ; une odyssée épique et intérieure du personnage de One-Eye, le héros muet ; un discours sur la croyance ; un récit du passage de l’enfance à l’âge adulte avec la prise de conscience de la nécessité de faire des choix et des sacrifices pour avancer, etc. Chacun pourra y voir ce qu’il veut, en accord avec sa sensibilité personnelle et – chose la plus importante pour l’identification – son vécu. Valhalla Rising est un film à regarder avec l’esprit ouvert, qui demande au spectateur d’en dépasser les apparences austères pour en découvrir les multiples sens cachés et la profondeur inouïe de son sous-texte.
La photographie de Morten Søborg (déjà chef op’ de la trilogie Pusher du même Winding Refn), très contrastée, avec une couleur dominante par chapitre de l’histoire, est un des points forts du long métrage : l’utilisation d’une caméra numérique, généralement privilégiée pour des films urbains (cf. Michael Mann), donne ici une autre dimension aux décors dévastés, apocalyptiques de la lande du début du film, créant un aspect documentaire cru et frontal, qui emporte le spectateur au cœur de la tourmente dès les premières images. La séquence où les personnages sont dans un drakkar perdu dans le brouillard est de ce point de vue magnifique : les personnages sont filmés de très près, avec une caméra qui ne quittera jamais le bateau, ce dernier étant arrêté en pleine mer faute de vent et enveloppé d’un brouillard orangé impénétrable, le spectateur vit alors littéralement avec eux la torture de ne pas pouvoir boire alors qu’ils sont entourés d’eau salée, partage avec eux la lassitude d’un voyage éprouvant dont l’issue est incertaine (les plans des visages burinés des acteurs sont saisissants). L’ensemble revêt l’apparence d’une traversée des limbes, où il est impossible de savoir s’ils vont atterrir en Enfer ou au Paradis… Un grand moment de cinéma.
Tenter de résumer, de décrire, les sensations provoquées par le film est chose vaine, car leur puissance et leur impact sont à peu près du même ordre de celles d’un rêve : une fois raconté, mis en mots, le rêve perd de sa force, les évènements perdent leur originalité, car leur formulation ne peut rendre compte de toute l’ambivalence de la sensation présente dans notre esprit.