Très bon film de Nicolas Winding Refn (que je découvre seulement, mais dont je vais rapidement enchaîner les Pusher et le plus récent Bronson...), qui livre ici un film sur un héros viking interprété par Mads Mikkelsen, son acteur fétiche. Winding Refn invente ici son idéal guerrier, à la personnalité absolument amorale, dénuée de sentiments et de cas de conscience ; c'est un homme de sang et de combat, un tueur né, une brute ignorant la peur. Le personnage se situe entre Anton Chigurh, le récent personnage des Coen dans No country for old men, et le barbare nietzschéen, imposant, dans un même geste, sa liberté et sa supériorité au combat, dans le pillage et la conquête. Ce héros viking ne tient qu'à sa liberté, dut-il massacrer tous ses opposants directs – que le village qu'il l'a fait prisonnier lui fait combattre contre de l'argent – ou ses alliés, s'ils s'interposent entre sa volonté et l'effectuation de celle-ci – c'est presque la moitié des soldats de dieu, qu'il a pourtant accepté de suivre pour la Terre sainte, mais qu'il tue sans hésitation lorsque ceux-ci s'évertuent à s'en débarrasser pour poursuivre leur aventure sans la présence du Mal. Et si les Coen avaient su trouver une arme originale pour leur personnage principal, celle que Winding Refn offre au sien est radicale, tranchante comme son éthique : une simple hache, mais aussi simplement terrifiante, entre les mains d'un telle brute sanguinaire.
La réalisation de Winding Refn est épurée, franche, amorale elle aussi : tous les discours, toute la culture, toute la sociabilité, toute l'humanité disparaît dans ces paysages magnifiques, desquels sa caméra sait capter la naïveté en même temps que la grâce, l'innocence en même temps que le déchaînement. Tous les plans sont comme déhSumanisés, éternels : désenchantés, mais avant le désenchantement ; le monde que Winding Refn dessine n'est pas le monde de l'homme, mais un monde de pierres (les chocs, la violence, les flèches des sauvages qui assaillent les soldats de dieu, mais aussi la statue que le héros viking construit, et les pierres qui le tuent en toute fin de film), d'eau (le bassin où il se lave et trouve de quoi s'échapper au début du film, mais aussi la mer, l'océan infinis qui ne mènent nulle part, si ce n'est à la perte – géographique et vitale), de terre (la boue dans laquelle il est contraint de tuer au début du film, la Terre sainte qui n'est qu'un mirage et la terre des sauvages comme lieu de la folie dernière) et de vent (ce vent glacial qui souffle en permanence dans ces plaines du nord, ce vent qui abandonne le navire des soldats de Dieu, ce vent qui afâme et qui lacère). Winding Refn nous livre une oeuvre élémentaire, en ce que les éléments seuls demeurent, dans une esthétique où l'homme ne compte plus que comme l'ombre de la mort, ou comme un bref giclement de sang – un éclair de violence.
Cette fermeture du personnage, hermétique à toute sociabilité et à toute psychologie, se manifeste à plein dans le silence, quasi saint, du héros viking pendant la totalité du film. Ce n'est pas pourtant que personne ne l'interroge ou le questionne sur son origine ou sur ses intentions ; seulement, le guerrier silencieux ne parle pas, n'a pas besoin de parler – comme si ne convenait, à ce barbare ascétique, que le silence du monde balayé par Borée. Si le mot est absent, l'image (le fantasme, l'hallucination, mais aussi la vision, la prophétie) prend aisément sa place : des fulgurances, couleur sang (comme des peintures, représentant le visage du viking face au paysage, serein, patient, immobile, qui font penser à la période métaphysique de De Chirico), interrompent à quelques moments la continuité brute et nécessaire du film. Ce qui possède la parole, c'est d'une part la futilité des chrétiens, d'autre part la candeur de l'enfant, (qu'il faudrait presque écrire avec une majuscule : c'est presque l'Enfant comme concept dont il s'agit ici) qui détient lui aussi, mais à un autre niveau, la vérité innocentée du monde. L'enfant, qui suit le héros tout au long du film, lui donnant à manger en cage, et observant finalement sa mort, est la voix, dit les mots du viking silencieux – c'est-à-dire aussi de ce monde originellement destructeur.
Très difficile de juger de la perf' des acteurs : ça ne sonne jamais faux, bien sûr, mais jamais les personnages, même le viking ou l'enfant, ne sont mis en avant : fermeture des psychologies, des visages et des personnalités. Pour ce qui est de la musique, c'est pas mal du tout, avec beaucoup de travail sur les bruits, et puis de bonnes progressions post-rock avec des sortes de tambours du Bronx, sourds, profonds, qui appuient merveilleusement bien l'aspect rythmique de ces rares passages musicaux. Jusque dans les basses, Winding Refn choisit de donner des coups, des heurts – une sorte de rythme premier et violent du monde...
La critique complète sur le Tching's Ciné bien sûr (note finale 16/20):
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