On n'a rien compris, mais on est content. Étant parmi le 1% des spectateurs qui n'aiment pas David Lynch (on a tous un défaut, que voulez-vous), on a transpiré à grosses gouttes lorsque François Theurel, (Le Fossoyeur des films, qui cartonne avec ses vidéos décalées d'explications ciné) nous l'a présenté, juste avant de lancer la projection, comme "un proche parent de Eraserhead"... On était à deux doigts de tenter une roulade dans les escaliers de la salle afin d'atteindre la sortie sans déranger les amateurs de ce style de cinéma, quand on s'est aperçu, à l'ouverture du film par une énigme très simple et par un personnage principal attachant car aussi paumé que nous, qu'on ne nous prenait pas de haut. Qu'on n'avait pas affaire à un snobisme intellectuel. On est donc resté, par curiosité, en voyant Mark Rylance se faire triturer le visage sans ménagement (son rôle le plus difficile ? En tout cas : vraiment très réussi !) dans des gros plans très bien cadrés (on aura au moins appris qu'il a des caries) et avec des petits bruits bizarres... Car, c'est ce qui nous a fasciné dans Institut Benjamenta : la bande-son. Plus qu'étrange, comme sortie du rythme du film, presque à contre-temps, mais de façon indéfinissable, comme si quelque chose clochait sans que l'on ne sache vraiment quoi, et c'est justement cette "inquiétante étrangeté" du son qui nous a le plus plu. François Theurel expliquera que l'ensemble de la bande-son, dialogues inclus, a été enregistrée en post-prod, en changeant les accents des acteurs, en décalant légèrement telle sonorité... A ceci s'ajoute toutes les métaphores très facilement perceptibles, qui ont plusieurs possibilités de sens, sur lesquels tous les étudiants en cinéma peuvent s'en donner à coeur-joie : subjectivement, les têtes de cerfs et la patte de chevreuil nous ont évoqué un caractère bestial, viril (même au féminin) des personnages qui s'en servent, tandis que le poisson à qui l'on donne à manger avec des paillettes (qui correspond aux chutes de neiges sur l'Institut en arrière-plan) peut évoquer une sorte d'amnésie des personnages du fait de leur enfermement, une aliénation dont sont victimes les pensionnaires de l'Institut... On tente une explication, car le film nous a parlé, a mis à notre niveau certaines clés à interpréter comme on l'entend, tandis que d'autres scènes nous ont complètement échappé (le personnage qui mange une pomme de pin, la prof qui trace un cercle au tableau et disparaît dedans, la fenêtre ronde au plafond qui n'a pas la même taille selon les moments du film...). Mais même lorsqu'on s'est senti perdu par une scène étonnante, la bande-son nous a rattrapé au vol, les plans très bien construits nous ont empêché de décrocher, et on reste intéressé par le sort réservé au jeune serveur en apprentissage qui s'acoquine avec sa prof... On pensait souffrir, car le cinéma expérimental est loin d'être notre came, mais celui-ci, avec son intrigue compréhensible à moitié dans les grandes lignes et librement interprétable dans les petites, avec son casting très en forme (Rylance au top du top) et sa bande-son délicieusement bizarre, a piqué notre curiosité pour le meilleur.