Ile d’Ouvéa, Nouvelle Calédonie, avril 1988. En métropole, c’est l’entre-deux tours de la présidentielle. Sur place, des indépendantistes kanaks envahissent des commissariats, tuent quatre gendarmes et en prennent une trentaine en otage. Le GIGN et l'armée de terre sont dépêchés sur place.
Matthieu Kassovitz revient, des années après la Haine, au film engagé, et tente pendant un peu plus de deux heures de faire passer des messages plutôt que d’offrir le grand frisson à son spectateur. Adapté du livre du négociateur du GIGN envoyé sur place, L’ordre et la Morale défend la thèse que le massacre final était évitable, et que les impératifs politiques urgents ont primé sur les recommandations des spécialistes qui demandaient du temps, de la patience et du doigté. Pour étayer son propos, le réalisateur décrit précisément les problèmes de communication et le croisement des motivations en suivant le négociateur pas à pas, dans ses rencontres avec les preneurs d’otage et les réunions ministérielles.
C’est quand le film s’intéresse aux rapports entre l’armée, la gendarmerie et le gouvernement qu’il est le plus intéressant. Précis et patient, Kasso analyse les antagonismes entre les professionnels et les politiques, qui se retrouvent exacerbés en période d’élection. Plus le film avance, plus le fossé se creuse jusqu’au bain de sang final. Ce jeu de dupes se permet évidemment d’être assez manichéen, c’est le parti pris assumé d’un film qui se retrouve parfois dans un équilibre compliqué, en particulier lors de trente premières minutes où l’angélisme vis-à-vis des preneurs d’otage passe parfois très mal (le terrible « c’est la panique qui a tué les deux gendarmes »). Mais quand il choisit de décrire et de démonter une mécanique plutôt que de proposer des analyses douteuses, il s’inscrit naturellement dans la veine des grands films politiques et engagés, comme on en faisait dans les années 70.
Voilà pour le message. Pour le film en lui-même, il est très bien construit, gérant une montée en tension progressive et tirant parfaitement parti de son décor si particulier. On peut reconnaître un vrai flair d’artiste à Kasso dans la décision de ne pas prendre de star, de ne pas s’éterniser sur des antécédents personnels ou des histoires annexes pour consacrer 100% de son film au cœur des événements. On le retrouve même réalisateur brillant dans un plan séquence en pleine forêt sous le crépitement des balles, ou encore pas ces images aériennes savamment dosées.
L’ordre et la morale est finalement très à l’image de son réalisateur : brut de décoffrage, direct et passionné…à défaut d’être fin ou implacable. On en ressort touché par la fougue de Kasso, mais pas complètement convaincu quand même...
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