La meilleure façon de décrire "Twilight" en tant que phénomène culturel serait de le comparer à un astéroïde sur le point de s’écraser sur Terre. Beaucoup auront la réaction de s’enfuir en hurlant, mais d’autres accepteront la fatalité d’un impact inévitable avec une révérence extasiée. "Twilight" signifie "crépuscule" en anglais, au fait. Retenez-le bien, car ça ne vous servira à rien en regardant le film. La série de romans écrite par Stéphanie Meyer doit son succès à une fusion improbable entre deux sous-genres douteux : la formule basique des histoires d’amour teenager et l’érotisme vampirique. Résultat : une saga qui a séduit des millions d’adolescent(es) avec une hystérie pas vue depuis "Harry Potter". Maintenant, "Twilight" accueille ses fans avec une adaptation sur grand écran, afin qu’ils puissent apprécier le coup de foudre d’une étudiante pour un prédateur violent et bipolaire. Tant pis pour les novices : ce film est uniquement pour les fans. Les non-initiés n’auront qu’à aller chercher ailleurs. Ceci dit, aller chercher ailleurs est une très bonne idée en ce qui concerne ce premier chapitre de la saga "Twilight". Catherine Hardwicke a la lourde charge d’adapter le premier roman de Stéphanie Meyer, et se montre ici coupable d’une incompétence choquante avec un long-métrage incohérent, auto-indulgent et prétentieux au point d’en devenir risible. L’histoire est presque la même que celles des téléfilms mélodramatiques pour ados qu’on a déjà vu maintes fois. Kristen Stewart joue Bella Swan, la nouvelle venue dans une ville à la météo la plus pourrie d’Amérique. Elle fait la rencontre du beau gosse du coin, cinq minutes après s’être fait de nouveaux amis. Amis qui répondent à la sélection obligatoire des minorités ethniques du lycée. Il y a aussi des amérindiens qui sont supposés être des loup-garous… Robert Pattinson (qui selon les avis a laissé une bonne impression ou pas avec son rôle de Cédric Diggory dans "Harry Potter et la Coupe de Feu") se retrouve dans la peau de Edward Cullen, un vampire perpétuellement en phase d’adolescence, doté de pouvoirs surnaturels (une force à égaler celle d’Hercule, une rapidité incroyable et la capacité de grimper aux arbres). Donc Edward Cullen est Superman. Ce Cullen est hautement détestable : il est froid, vide de personnalité, suffisant, violent, machiste, superficiel, violent, mesquin, autoritaire, égoïste... Par ailleurs, Cullen fait partie de toute une famille de gentils vampires, dont la stratégie pour éviter de se faire repérer dans le monde humain est de vivre parmi une population d’imbéciles. Tout le monde connaît les Cullen : ce sont ceux qui ressemblent, parlent et agissent exactement comme l’archétype du vampire qu’ils sont. Tout le monde remarque qu’ils sèchent les cours quand il fait beau, qu’ils ne mangent pas et ne boivent rien. Mais seulement, Bella a l’intelligence de deviner leur vraie nature. Et elle le fait après une enquête qui a dû lui coûter beaucoup d’efforts et de réflexion, car l’illumination vient de ses recherches sur un outil indispensable : Internet. Mais quelle est donc la réaction de Bella, quand elle fait cette découverte et se voit confrontée à un beau gosse morne, autocentré, physiquement dangereux, verbalement abusif mais à l’esprit soi-disant torturé ? Et bien, elle fait ce que font toutes les filles de son âge : elle lui déclare immédiatement son amour éternel et sacrifie toute son individualité pour se dévouer à une relation co-dépendante. Et c’est ici qu’on rentre dans le vif du sujet. Allez, honnêtement, c’est quoi "Twilight", en somme ? C’est une métaphore rallongée et très indiscrète de l’abstinence sexuelle. Subtil, hein ? On vit certainement dans un monde étrange quand la soi-disant plus grande saga littéraire de la planète peut être apparemment résumée avec les mots "mormone", "vampire", et "abstinence". Le pire, c’est que c’est même pas sûr que la métaphore morale tienne la route. Aucune décision n’est faite par le couple dans le film, ni par l’un, ni par l’autre. Cullen passe tout son temps à faire la gueule jusqu’à ce que l’un des méchants les plus pourris du cinéma fasse son apparition pour lui donner une excuse de se défouler. Bella, elle, a le cafard en boucle et supplie qu’on lui arrache la gorge afin qu’elle fasse partie des enfants de la nuit. Évidemment, nous le savons tous, il n’y a pas de meilleur moment que notre adolescence pour faire des choix qui pourraient nous changer la vie à jamais, surtout quand on est bourré(e) d’hormones. Oublions le mauvais scénario, les jeux d’acteurs pathétiques, les dialogues risibles, le moralisme flagrant et le fait qu’il est tout simplement profondément débile; le plus grand crime de "Twilight - Chapitre 1 : Fascination" est de provoquer l’ennui. Du début soporifique à la fin somnolente, en 122 minutes somnifères, rien ne se passe. Rien du tout. Cullen et Bella enchaînent les conversations inintéressantes, puis les méchants à deux sous débarquent à l’écran et c’est fini. Et quand un spectateur s’ennuie, il s’endort, ou il se pose des questions bien plus intéressantes que le film. Parlons-en, des vampires, pour finir. Ici, le film joue la carte de "tout ce qu’on savait à propos des vampires est faux" (vous vous souvenez de la dernière fois qu’un film de vampires a suivi les règles classiques, par hasard ?). Mais pour le dire gentiment, "Twilight" crache au visage du mythe éternel des vampires, enlevant des éléments et ajoutant ses propres contributions. Tout ce qui rendait les vampires terrifiants ou intéressants est ici jeté aux orties. Ainsi, les vampires ne se transforment pas en chauve-souris, ne deviennent pas invisibles, ne dorment pas dans des cercueils, n’ont pas de dents pointues, ne sont pas allergiques à l’ail et ne sont pas sensibles aux pieux. A la place, ils aiment jouer au baseball, mais ils doivent le faire pendant des orages pour ne pas qu’on entende leurs coups de batte. Et au lieu de se changer en pierre ou brûler au soleil, ils brillent. Non, vraiment. Le monde n’est plus le même. Est-ce trop tard pour dire que Joss Whedon est un génie ? On est d’accord, tout le monde n’était pas à la fête avec "Buffy contre les vampires", mais on pourrait peut-être lui pardonner, après avoir vu "Twilight". "Twilight" qui démontre à quoi ressemble un film de vampires quand il est signé par des gens qui ont pas la moindre idée de ce qu’ils font. Bref, un navet soporifique et rétrograde, bien que visuellement plutôt agréable à regarder, et avec une belle bande-son