La chronique de ROB:
Qui a dit que le cinéma français n'avait pas de conscience politique ? Avec son deuxième long-métrage, Audrey Estrougo prouve le contraire en s'imposant comme la digne héritière de Constantin Costa-Gavras. Tous deux partagent cette même façon de régler définitivement son compte à tout régime défaillant, sans justice ni morale. Tous deux savent nous mettre face à notre condition de citoyens esclaves, aveuglés par une illusion de démocratie. Appel à la solidarité et plaidoyer pour une mixité sociale, Toi, moi, les autres va même plus loin dans son désir de contester et de mener vers un monde meilleur : comme le scandait la voluptueuse Nicoletta dans son chef d'oeuvre « La musique, je le sais, sera la clé de l'amour, de l'amitié ». Marchant sans peur sur les traces de Jacques Demy, Estrougo fait du quotidien un univers chanteur à défaut d'être enchanteur. Des appartements luxueux aux salons de coiffure afro, des prisons sordides aux ruelles colorées, le film fait de la musique le révélateur de toutes les passions, pulsions et frustrations qui animent notamment notre jeunesse. Avec cette idée absolument bouleversante, qui pourrait donner des idées à plus d'un : il aurait peut-être suffi de la faire en fredonnant pour que la révolution soit plus évidente et plus facile.
À dire vrai, on a rarement vu histoire plus universelle, plus transcendante, que celle de ces êtres perdus qui vont révéler la beauté de leurs âmes en se retrouvant confrontés à un drame politique mais surtout humain. Car comme le soulignent tour à tour les deux héros, les gouvernements en place ont hélas trop tendance à oublier que derrière des numéros de dossier se cachent des êtres humains, avec un cœur, des tripes et des racines. Ces gens-là ont osé rêver d'un autre monde où la Terre serait ronde, et on ne saurait les en blâmer. Voilà enfin un vrai film de gauche, qui donne envie de voter Olivier Besancenot ou de coller des affiches pour Ségolène Royal en chantant du Cali dans la rue. La magie d'un montage fluide et consistant fait ressembler ce film à un rêve éveillé, comme si renaissait soudain l'espoir fou d'un grand soir tant espéré. Un soir où bourgeois et prolos se donneraient la main pour briser les barreaux des cellules des sans papiers, où les chansons d'amour seraient plus fortes que tous les charters du monde, où la police serait sympathiquement ridiculisée par des chorégraphies de qualité. Toi, moi, les autres donne envie d'y croire et de s'y préparer.
Car quoi de plus beau que ces lendemains pas si utopiques qui nous permettraient de gommer les frontières et de faire l'amour, pas la guerre, au son de Michel Delpech ou de Daniel Balavoine. Dans ce monde idéal, Benjamin Siksou serait notre leader, sa voix de crooner (sans AUCUNE fausse note) nous mettant du baume au coeur pour mieux panser nos bleus à l'âme. Dans ce monde idéal, les diplômes de droit tomberaient du ciel et permettraient aux gens les plus sincères et les plus honnêtes de défendre la veuve, l'orphelin et l'étranger. Dans ce monde idéal, on danserait dans la rue pour dire non à l'injustice et au malheur. Splendidement réalisé, construit avec poésie et précision, Toi, moi, les autres apporte ses incessantes fulgurances au service de toute une génération capable de renverser des montagnes pour peu qu'on l'y pousse. Portée par une Leila Bekhti qui prouve que son César du meilleur espoir n'est en rien galvaudé, magnifiée par une Cécile Cassel qui n'a rien à envier aux fortes personnalités de son père et de son frère, cette partition sublime fait chialer d'émotion et donne envie de lever le poing bien haut comme dans la plus belle chanson d'Amel Bent. Chef d'oeuvre.
ROB
http://www.toujoursraison.com/2011/02/toi-moi-les-autres.html