Un projet de très longue date pour le réalisateur de Will Hunting, initié dans la première moitié des années 90, et qui n’a cessé d’être retardé par des désaccords scénaristiques avec Oliver Stone (le réalisateur de Platoon, Wall Street, Nixon, JFK). Alors qu’un acteur, Robin Williams, avait pourtant été choisi pour le rôle principal. Une production donc qui a été laissée à l’abandon pendant plusieurs années, puis reprise pour voir enfin le film sortir plus de dix ans après son évocation. Pour dire que le cinéaste Gus Van Sant tenait énormément à s’attaquer à la figure qu’était Harvey Milk. Cela valait-il le coup d’attendre aussi longtemps ?
Biopic donc sur Harvey Milk (Sean Penn), homosexuel fraîchement installé à San Francisco et qui s’est longtemps battu pour le droit et la place des gays aux États-Unis. Un combat qui s’est fait sans violence, par la voie politique jusqu’à être élu conseiller municipal et faire équipe avec le superviseur Dan White (Josh Brolin), malgré une très forte rivalité entre les deux hommes. Saupoudré de romance, notamment avec Scott Smith (James Franco) et Jack Lira (Diego Luna), les deux hommes qui ont eu de l’importance dans sa vie.
Le film Harvey Milk va vous étonner, scénaristiquement parlant ! S’éloignant des biopics traditionnels, qui s’attaquent à la vie ou à une partie de celle-ci d’une personnalité pour avoir quelque chose à raconter. Si cela peut se montrer intéressant, cela n’attire que les fans de la personne en question à se ruer en salles. Sans parler d’une redondance qui commence à voir le jour depuis ces dernières années, les films biographiques ayant rarement pullulé sur nos écrans de la sorte. Ici, la vie de Harvey Milk importe peu. Bien que le script passe obligatoirement par les histoires romantiques que celui-ci a connues (et qui peuvent alourdir l’ensemble, vu le chemin pris par le scénario), il préfère se concentrer sur la lutte entreprise pour l’obtention de la reconnaissance des gays aux États-Unis. Afin de nous proposer une véritable leçon d’Histoire et d’humanité. Bref, un biopic qui a vraiment quelque chose à nous proposer qui ait réellement de l’intérêt, sans pour autant oublier de travailler le personnage principal. Même si cela doit passer par quelques longueurs dispensables, un sentiment de monotonie qui commence à s’installer et des personnages bien trop secondaires et pourtant importants pour sa cause (un surplus de protagonistes, comme dans la plupart des biopics).
Autre qualité d’Harvey Milk : la mise en scène de Gus Van Sant. Contrairement à d’autres cinéastes qui ne font que filmer sans imagination leur personnage, quitte à sortir du lot mais seulement par la voie du montage (comme Olivier Dahan sur La Môme), le réalisateur nous livre son film tel un documentaire. Bien que de nombreuses scènes aient des airs de fiction, il en filme une bonne partie comme s’il était un journaliste assistant aux nombreuses actions de Milk. Allant jusqu’à user d’un filtre qui vieillit l’image et mélangeant avec malice images d’archives et plans filmés pour les besoins du long-métrage. À tel point que l’on a souvent du mal à distinguer la réalité de la fiction. Donnant au tout une crédibilité exemplaire, qui renforce justement l’intérêt que nous portons obligatoirement à ce film une fois commencé. Et qui nous gratifie d’une jolie reconstitution de l’époque (à savoir les années 60-70), notamment au niveau de l’ambiance musicale (Danny Elfman nous livrant de jolies partitions ainsi que quelques tubes connus tel que Queen Bitch de David Bowie).
Et enfin, comme tout biopic qui se respecte, Harvey Milk se permet d’avoir une star à sa tête. Mais jamais, au combien jamais, cette dernière ne s’était montrée aussi juste en interprétant une personnalité connue, au point de disparaître derrière celle-ci (bon, j’exagère un peu, nous avons bien eu Marion Cotillard en Edith Piaf et Will Smith en Mohamed Ali). Surtout quand l’interprète en question nous surprend de la sorte. Ici, il est question de Sean Penn. Un comédien que nous avons l’habitude de voir dans des rôles de brutes, de mauvais garçons, et qui devait sa place dans ce film que pour sa ressemblance frappante avec Harvey Milk. Mais c’était sans compter sur le talent de l’acteur, qui change totalement de registre en jouant les personnes sensibles, adorables… tout le contraire de ce qu’il nous avait auparavant habitué ! Et il le fait avec une aisance déconcertante qu’il nous fait croire d’avoir le véritable Milk à l’écran, renforçant l’effet documentaire/reportage voulu par le réalisateur. Normal alors qu’il est obtenu l’Oscar du Meilleur acteur pour cette interprétation, le comédien supplantant sans mal tout ses collègues pourtant excellents (Emile Hirsch et James Franco en tête), mais qui ne peuvent rivaliser avec lui (d’autant plus que leur place dans le scénario ne peut vraiment le leur permettre).
Malgré quelques problèmes de rythme et des couacs propres à tout film de ce genre, Harvey Milk est l’un des meilleurs biopics que le cinéma a su nous livrer ces dernières années. En ayant le culot de sortir des sentiers battus, à savoir mettre la vie de son personnage de côté pour lui préférer son combat, ses actes militants. Rendant l’intégralité du long-métrage intéressante, et ce pour tous les spectateurs. Ne touchant pas qu’une partie à qui le film aurait pu être destiné (les gays, les inconditionnels du personnage, les aficionados d’Histoire…). Non, Gus Van Sant a fait son film pour que celui-ci soit accessible à tous et puisse toucher chacun d’entre nous. Mettant en valeur l’un des principaux attraits du cinéma : l’universalité !