Pour son quatrième long-métrage, James Gray s'éloigne de l'univers du gangstérisme, garde une troisième fois Joaquin Phoenix et s'illustre lumineusement dans cette romance noire et à fleur de peau en nous plongeant toujours aussi bien dans les arcanes de New York.
"Two lovers", c'est l'histoire d'un trentenaire rongé par la raison (épouser la fille du racheteur de l'entreprise familiale) et son instinct (partir et fonder un foyer avec une voisine de pallier)... .
Les personnages sont aussi bien esquissés que dans "The yards". Et justement, le scénario, bien que limpide, reste à hauteur de nos yeux sans prendre la consistance de ce deuxième volet sur la Famille. Mauvais point Gray.
Il y a aussi la part de la musique qui ici ne vole pas haut. Elle ne nous ébranle pas, reste sur son piédestal sans jamais gagner en intensité. Vraiment dommage pour l'équipe Kilar-Sano qui avait mitonné du très bon sur "La nuit nous appartient".
Pour se rattraper, maître Gray nous impose Joaquin Phoenix dans le rôle du trentenaire habitant encore chez ses parents. Encore une fois, c'est une partition plus que parfaite et Joaquin fait le liant entre les deux femmes qu'il aime de manière si élégante et charnelle qu'il rend la noirceur de Gray au diapason. Surprenant, élégant, classe, énigmatique, Phoenix écrase ses partenaires pour capter l'essence que le peintre new-yorkais décrit, son histoire (la sienne et celle de Phoenix, énigmatiques toutes les deux). Au diapason, Joaquin explore toutes les facettes de son talent et prouve, de par un charisme évident, qu'il apparaît ici comme une gueule du cinéma contemporain. Avec "Two lovers", Gray termine le travail entamé avec Joaquin depuis "The yards". En cela, je peux dire que l'acteur de "8MM" est l'équivalent de Roth sur "Little Odessa" de par ses trois collaborations complètes avec le metteur en scène. Ici, je comparerai volontiers le Commodus de "Gladiator" avec Stamp de "Théorème" ou avec Delon de "La piscine". Rien que ça !!
A ses côtés, on retrouve Gwyneth Paltrow (en 1999, elle est auréolé de l'Oscar de la meilleure actrice pour "Shakespeare in love", 3 ans après "Seven") dans le rôle de la voisine blessée par la vie. Comme à l'accoutumée, elle nous sert une composition qui sonne énormément juste. Et l'on ne peut qu'adorer (!), surtout avec le duo qu'elle forme avec l'immense Phoenix. Avec aussi la très belle Vinessa Shaw (c'est elle qui charme Tom Cruise dans "Eyes wide shut" !), campant la fille à papa, qui tente de se faire une place dans ce trio (Phoenix-Paltrow-Shaw). Je ne nommerai qu'un autre membre du casting : Isabella Rossellini ("Blue velvet", "Nos funérailles", "Poulet aux prunes"...). La fille de Roberto et d'Ingrid Bergman, qui joue la mère de Joaquin Phoenix dans le film, reste d'une onctueuse délicatesse dans toutes les apparitions qu'elle réalise. Elle incarne ainsi le second couteau par excellence de "Two lovers". Classe !, Isabella.
Pour parler esthétique, c'est toujours du très bon : l'équipe de "La nuit nous a appartient" est au complet (Clancy, Baca-Asay, Axelrad). L'atmosphère rendue (des lumières, du montage...) en est d'autant plus poisseuse. Douglas Aibel, directeur de casting, revient faire un tour dans l'univers sombre de Gray depuis leur rencontre sur "Little Odessa".
Quant à la mise en scène, on oscille entre polar (par le travail radiographique du peintre Gray) et drame humain (pour une interprétation réaliste de Joaquin Phoenix). On assiste finalement à une romance à laquelle James Gray appose sa patte. Et son talent : la classe européenne. Car on retrouve de la candeur (à la française : Delon). Du mystère (à la Hitchcock). De la fragilité (à la Pasolini). De la paranoïa (à la Fritz Lang). Du voyeurisme (à la Brian De Palma). Le tout, mélangé à la sauce Gray. Du grand art par un peintre hors norme : maître James Gray.
Pourquoi j'ai moyennement aimé "Two lovers" ? Par ce rythme lent et languissant au possible. Et l'inactivité de Gray à nous faire franchement décoller de notre fauteuil. Oui, j'en ressors déçu, et ce malgré l'excellente qualité esthétique et technique du métrage. D'où ma note : 1 étoile sur 4.
Spectateurs, n'en abusez... Pa(l)tro(w) !
PS : c'est grâce à "Two lovers", film sélectionné dans la liste des vingt trois à Cannes en 2008 (et qui ne reçu, pour changer, aucune récompense) que l'artiste Gray se fit connaître du public. La presse avait seulement pointé son nez en présence de "Little Odessa" en 1995. Piètre dédommagement !