J’ai lu ‘Malpertuis’ de Jean Ray il y a seulement un an ou deux, et j’ai été stupéfait de découvrir que la Belgique disposait d’écrivains aussi, j’ose le mot, ‘Lovecraftiens’. En fait, ce bouquin m’a fasciné, que ce soit par son style littéraire, son ambiance ou même son scénario. C’est un de ces livres qui ne prend pas la peine de se montrer trop explicite dans ses révélations, préférant laisser l’imagination du spectateur battre la campagne et s’imaginer tel élément décoratif, tel paysage décrit sous forme de métaphore mystérieuse ou telle entité indicible qu’un esprit sain peine à se représenter. Cette adaptation, malgré ses maladresses, son montage de toute évidence charcuté, et son côté Europudding avec des acteurs venus d’horizons différents et aux méthodes parfois diamétralement opposées (certains mutiques et tout en intériorité, d’autres bouffons et expansifs, quelques caméo de stars de l’époque, et Orson Welles grommelant sur son lit de mort) laisse une impression similaire, quelque chose dont l’intérêt se dissimule dans les détails, une atmosphère fiévreuse, un malaise imperceptible qui progresse crescendo, un trip “velours rouge et érotisme” moitié Hammer moitié giallo, baroque comme le cycle Poe de Roger Corman ou comme les oeuvres vampiriques de Jean Rollin du temps où ce dernier avait encore les moyens de ses ambitions. De ses origines belges, ‘Malpertuis’ reprend les brumes fantomatiques des Flandres et un certain esprit rabelaisien, respectivement lors de scènes mémorables comme cette filature dans un dédale de ruelles sinistres ou cette une fête orgiaque et paillarde dans une taverne à marins. Bon gré mal gré, malgré son script qui semble lacunaire et mutilé, malgré ses hésitations à s’inscrire clairement dans un genre bien défini qui lui coûteront son succès commercial, ‘Malpertuis’ parvient, non pas à recréer précisément l’atmosphère qui se dégageait de la prose de Jean Ray mais quelque chose qui lui est propre et qui, sur moi au moins, a fonctionné au-delà de toute espérance. Je ne suis pas certain qu’on puisse parfaitement comprendre ce qui se trame dans cette demeure sans avoir lu le livre, et l’explication finale survient si abruptement qu’elle ruinerait presque le soin que le film avait déployé préalablement pour que le spectateur puisse échafauder tant de possibilités et de théories, mais les figures grotesques qui peuplent Malpertuis sont de celles dont on se souviendra longtemps après avoir vu cette adaptation, dont j’aimerais réellement voir un jour un remake doté des moyens de ses ambitions mais dont je ne crois pas qu’elle soit réellement envisageable, l’époque ne s’y prêtant définitivement plus et les réalisateurs aussi visuels ne courant pas les rues.