Avant la découverte de Multiverse of Madness, je choisis naturellement de me faire un petit récap' avec le premier Doctor Strange. Rapidement, un problème. J'envoie la balise de détresse à mon cerveau apparemment engourdi, j'essaie la concentration puis la méditation, tout ce qui peut être fait pour stimuler la mémoire. Rien à faire, je n'ai plus aucun souvenir du blockbuster sorti à l'automne 2016. Trou noir. C'est grave docteur ? Seul moyen pour dissiper ce trouble, le revoir bien sûr. 1h55 plus tard, je me souviens enfin pouquoi je ne me rappelais plus de ce film : il est totalement oubliable. Bon sang mais c'est bien sûr !
N'y voyez pas de mauvaise volonté, je vais tâcher de détailler les raisons de cette amnésie avant la probable résurgence des symptômes (à vue de nez, d'ici quelques jours). L'explication la plus évidente tient à l'extrême fadeur de l'ensemble. À force d'enchaîner les origin stories, n'importe quel spectateur aura consciemment ou non intégré leur structure (passages obligés, retournements et résolutions). Si leur mode de production les traite en plus comme de vulgaires relais vers l'étape d'après, ils n'ont aucune chance d'affirmer leur personnalité. Dans le cas de Doctor Strange, qu'est ce que ça donne ? On voudrait faire du chirurgien suprême un Tony Stark bis. Sauf que d'un côté, on cherche à forcer sa coolitude avec de l'humour bas de gamme et ça ne prend pas. De l'autre, on pense que faire dire à ses proches qu'il est un mufle arrogant suffira pour le faire gober et ça ne marche pas non plus. La caractérisation est au mieux caricaturale sinon mécanique, personne ne semble y croire. Loin d'être un défaut à la marge, l'investissement en berne se retrouve à tous les niveaux.
Officiellement, Scott Derrickson est crédit au poste de réalisateur. En réalité - et comme ça été plusieurs fois confirmé sur d'autres produits MCU - son implication n'a manifestement pas pu s'étendre au delà de quelques scènes dialoguées. On le remarque soit parce que l'intrigue est complètement survolée soit parce que les personnages n'existent jamais. Au mieux des fonctions, sinon des esquisses rudimentaires qui se modifient par à coups ou pirouettes incohérentes (Mordo, au hasard). Même d'excellentes comédiennes comme Tilda Swinton ou Rachel McAdams ne peuvent rien y changer. Le récit d'initiation transpire le factice, et l'histoire d'amour est insignifiante au possible. Quant à Mads Mikkelsen, il déclame ses répliques de grand méchant sans grande conviction (oui, oui on parle bien du grand Mads Mikkelsen).
Encore plus flagrant, le manque de créativité sur les séquences d'action. Chacune d'elles tient un concept fort (environnement qui se déstructure, projection astrale, dimension miroir) que Doctor Strange ne prend même pas la peine de rendre amusant, en jouant sur les perspectives, les échos d'un monde à l'autre ou le vertige sensoriel, keutchi. De plus, la facture visuelle est encore une fois inégale. À l'exception de la première sortie dans le multivers psychédélique assez barrée, calme plat.. Autant la course-poursuite dans "l'autre" New York présente quelques belles images, autant nombre de fonds verts et d'incrustations sautent aux yeux. Si on pense évidemment beaucoup à Inception, ça ne joue pas du tout en faveur de Marvel, le mélange d’artisanat et de technologie de pointe utilisé par Christopher Nolan envoie dans les cordes le film attribué à Derrkickson avec six ans d'avance. La vue d'ensemble n'est guère mieux, avec cette photographie grisâtre, ces décors impersonnels, ce découpage serré ou cette bande-originale imperceptible qui ne donnent jamais vie aux lieux, du Népal à New York en passant par le temple Kamar-Ta.
Oubliable. Plus un terme est utilisé, plus le risque de le voir employé à tort et à travers est grand. Sauf que dans ce cas précis, il est le seul à correspondre parfaitement à un Doctor Strange désincarné jusqu'à ce que l'indifférence remporte la partie. Comment définir autrement une chose ni bonne ni foncièrement mauvaise ? Seules la prestation de Cumberbatch et la résolution maligne face au boss final lui donnent quelques points. Le reste s'efface tandis que les minutes se succèdent. Vu que cela représente la plus grosse partie, elle finit immanquablement par grignoter les derniers vestiges de mémoires qu'on ait pu conserver des bonnes choses. Il serait injuste d'accabler Scott Derrickson quand le rendu final donne à ce point l'impression d'un bouche-trou dans le dépliant publicitaire du Marvel Cinematic Universe.