Le voilà enfin, le film de tous les records, le nouvel ‘Employé du mois’ de chez Marvel alors qu’il s’agissait potentiellement d’un des projets les plus casse-gueule jamais lancé par l’usine à surhommes aux grandes oreilles (ben quoi ? Faut bien lui trouver un surnom maintenant qu’elle est passée sous la coupe de Disney). Coupons court séance tenante à tout suspense intenable, ‘Black panther’ est incontestablement un chouette film...mais beaucoup moins extraordinaire ou révolutionnaire que son score au box-office pourrait le laisser penser. L’histoire se déroule au Wakanda, une nation africaine militairement et technologiquement à la pointe mais dont l’existence est tenue secrète pour le reste du monde, la contradiction mentale avec la vision universellement partagée d’une Afrique arriérée et ravagée par la pauvreté étant à la base de plusieurs traits d’humour tout au long du film. Le scénario conserve une dimension humaine, basé sur des querelles dynastiques comme dans la franchise ‘Thor’ et, inévitablement puisqu’il s’agit du film qui ouvre l’arc narratif ‘Black panther’ (à l’exception de sa brève incursion dans ‘Civil war), sur l’acquisition par T’challa de ses pouvoirs ou plutôt, de la responsabilité et du rôle qui lui incombent en tant que souverain, couplé à l’enjeu d’ouvrir le Wakanda au reste du monde pour le faire bénéficier de ses avancées scientifiques et de sa sagesse, alors que certains préféreraient qu’il utilise sa puissance au service d’une révolte des peuples noirs. On perçoit aisément la tentative de relier l’utopie Marvel aux lignes de fracture qui parcourent la communauté afro-américaine : Black Panther face à Killmonger, qui a eu le douteux privilège de grandir dans les ghettos américains, c’est Martin Luther King face à Malcolm X ! Dans le même ordre d’idées, le film se permet une petite pique final envers ceux qui érigent des murs au lieu de bâtir des ponts, à l’image d’un certain président américain élu l’année précédente. Ceci dit, il faut tout de même relativiser la portée de ‘Black panther’ : ce n’est pas le “réveil d’une communauté� comme certains intellectuels exaltés l’ont proclamé mais plus prosaïquement un Blockbuster Marvel, conçu pour distraire et peu suspect de prendre des positions radicales sur des thèmes qui risqueraient de le fâcher avec une partie des spectateurs potentiels : l’écurie de Comics et ses bailleurs de fond ont simplement fait le pari calculé (mais tout de même risqué) qu’un film consacré à un SuperHéros moins réputé, dont la presque totalité du casting est noire (à l’exception d’un Bad Guy et d’un comic-relief, tous deux assez secondaires) pourrait engranger le même succès que des franchises majeures comme ‘Captain America’ ou ‘Iron Man’ : en gros, le même genre de pari que DC comics a fait avec ‘Wonder woman’ mais sur un sujet qui génère encore plus de crispations....mais on sait aujourd’hui que dans les deux cas, relever le défi en valait la chandelle, surtout financièrement ! Pour ma part, ‘Black panther’, qui se situerait quelque part entre le premier ‘Captain America’, pour la dimension humaine de son héros et son héroïsme très premier degré, et le premier ‘Thor’, pour l’imbroglio familial et le contexte visuel atypique qui change des environnements urbains usuels de chez Marvel, est loin de m’avoir ennuyé mais j’aurais tout de même du mal à me joindre à la liesse généralisée à l’égard de ce blockbuster pas toujours au top en terme de rythme, et qui ne me semble foncièrement pas très différent des autres productions Marvel. La raison en est toute simple : je ne suis pas noir. Je peux comprendre la satisfaction de ce public de voir les clichés ethniques traditionnels du cinéma dynamités , ou même que la culture noire ne soit pas ici ramenée aux poncifs du ghetto mais transformée en utopie science-fictionnelle crédible. Je peux le comprendre mais ça ne me parle pas, naturellement, instinctivement. Prétendre l’inverse serait d’ailleurs très étonnant, ou hypocrite. Pour moi, il s’agit d’une Marvellerie de plus, conçue dans le même moule que toutes les autres, avec ses qualités et ses défauts, consacrée à un personnage que je connaissais peu mais qui se révèle plutôt charismatique à l’usage. Là où le résultat m’a réellement séduit en revanche, c’est au niveau de son inventivité visuelle, avec une architecture urbaine, des costumes civils, militaires ou d’apparat, des traditions, des rituels qui opèrent la jonction entre les cultures africaines ancestrales et l’état d’avancement civilisationnel et technologique du Wakanda, une sorte de ré-imagination de ce à quoi aurait pu donner naissance une modernité emmenée par le continent africain. J’ignore la crédibilité qu’on peut accorder à cette vision - je ne me sens pas assez calé en ethnographie pour juger de la pertinence des choix des chefs-décorateurs ou de la bonne concordance des accents locaux - mais j’ai tout à fait adhéré à ces orientations créatives qui laissent à voir un univers magnifique et foisonnant qui n’a aucun équivalent dans le cinéma contemporain...quand bien même on gardera à l’esprit que ce n’est pas l’Afrique qui s’impose au cinéma mais la mondialisation hollywoodienne qui en assimile des morceaux choisis et en régurgite une version fantasmée acceptable et compréhensible pour l’ensemble de la planète : le Wakanda est à l’Afrique ce que la Latvérie est à l’Europe de l’est…!