Un piano se déplace dans des couloirs vides aux murs blêmes en jouant, grâce à du papier à musique, une partition de Bach. «Die Stille vor Bach» (Espagne, 2007) de Pere Portabella s’ouvre sur cette image hallucinatoire. Cette élégie à Bach des séquences disparates dont les liens se révèlent par la suite. L’amour de la musique, qu’il appartienne à un chauffeur routier ou à un concertiste, s’exprime dans l’intime. Portabella exalte les notes de Bach en les situant dans leur relation directe à l’homme. Cette ouverture mystérieuse où le piano, sans l’intervention de la main humaine, émet une mélodie, laisse augurer le plus terrible des présages : il n’est plus besoin de l’homme pour atteindre au Beau, la grâce pouvant être affaire de mécanique. Suite à ce prélude, aussi sinistre que fascinant par sa mise en scène, Portabella reproduit des instants de la vie de Bach, éveillant par ce biais la mémoire de ses compositions. En mêlant point de présent et nappe du passé, Portabella veut nourrir la musique telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui de la mémoire passée pour retrouver la quintessence des œuvres de Bach. Comme il est rappelé dans le film, le philosophe Emil Cioran a dit que le seul qui devait tout à Bach était Dieu. Cette défense lapidaire n’exprime pas qu’un amour considérable pour le compositeur, elle souligne très justement que chaque mouvement qui compose la musique de Bach est un élan vers la spiritualité. Portabella tend à recouvrer cette dévotion, quitte à réduire son cinéma à un spectre de l’âme. La beauté des plans, leur savante mise en relation dresse un cinéma contemplatif voire méditatif sur la nature actuelle de la musique. Aspirant à retrouver la simplicité gracieuse de l’art, Portabella en passe par une réalisation épurée et ascétique, laissant plein champ aux pointes musicales de Bach. Parfait pour découvrir la musique classique, beaucoup moins pour ressentir les effets du cinéma. Sur la quête de la grâce, préférez Rohmer.