Habitués du Festival de Cannes, où ils ont déjà obtenu deux Palmes d'Or (Rosetta en 2003, L'Enfant en 2005), Jean-Pierre et Luc Dardenne ont de nouveau été en compétition pour Le Silence de Lorna. Ils sont repartis de la Croisette auréolés du Prix du Scénario. Le jury était présidé par Sean Penn.
Lors de a conférence de presse cannoise, Jean-Pierre Dardenne précisait : "Ce qui nous a intéressés, c'est de raconter l'histoire d'êtres humains, en Europe occidentale, qui viennent d'ailleurs, Lorna principalement et Sokol, et comment ils arrivent - par des manières qu'on ne peut pas saluer - à obtenir ce qu'ils pensent être leur part de bonheur. Nous avons voulu que cette Lorna reste un être humain, avec sa part d'ombre, ses paradoxes et son silence. Mais c'est un beau silence, car il va, si je puis dire, "accoucher" de quelque chose... Ajoutons que le film est inspiré d'un fait divers qui leur a été raconté.
Après Jérémie Renier, Emilie Dequenne, Déborah François, qui ont fait une belle carrière depuis, Arta Dobroshi, comédienne née en 1979 à Pristina, est la nouvelle découverte des frères Dardenne. Les réalisateurs se souviennent : "Un de nos assistants est allé faire un casting d'une centaine de jeunes femmes actrices professionnelles et non-professionnelles à Pristina, Skopje et Tirana. Parmi celles-ci, nous avons retenu Arta Dobroshi. Nous l'avions déjà vue quelques semaines plus tôt dans deux films albanais. Nous sommes allés la rencontrer où elle vit, à Sarajevo, et durant une journée, nous l'avons filmée avec notre caméra DV : marchant, courant, chantant et dans des scènes proches de celles du film. Ensuite, elle est venue à Liège et nous l'avons filmée jouant avec Jérémie Renier et Fabrizio Rongione. Elle était merveilleuse, simple et belle. Le soir, avant qu'elle ne reprenne l'avion pour Sarajevo, nous lui avons dit que c'était elle qui interpréterait le rôle de Lorna, qu'elle devrait revenir quelques mois avant le tournage pour répéter et apprendre le français."
Héros de La Promesse et de L'Enfant, Jérémie Renier incarne ici un junkie. Fabrizio Rongione, alias Riquet dans Rosetta, campe cette fois l'odieux Fabio. Les deux interprètes principaux du Fils apparaissent également dans le film : Olivier Gourmet (acteur-fétiche des Luc Dardenne) et le jeune Morgan Marinne. Les réalisateurs se sont entourés, pour l'équipe technique, de collaborateurs de longue date, du directeur de la photo Alain Marcoen à la monteuse Marie-Hélène Dozo en passant par le cadreur Benoît Dervaux.
Si on retrouve dans Le Silence de Lorna les thèmes habituels du cinéma des Dardenne, leur manière de filmer à évolué. Les cinéastes reviennent sur le choix du format : "Nous avons fait des essais avec 5 caméras numériques, une 35 mm et une super 16 mm. Ce sont les images tournées de nuit avec la 35 mm qui étaient les plus proches de ce que nous cherchions. Par ailleurs, nous avions décidé que, pour ce film, notre caméra bougerait moins, écrirait moins, serait plus là pour enregistrer. Le poids de la 35 mm, sa plus grande inertie étaient dès lors intéressants pour notre film."
Arta Dobroshi et Alban Ukaj évoquent leur plaisir à travailler avec les Dardenne : "Nous avons d'abord répété pendant un mois et demi. Pour des acteurs, c'est le paradis, car chaque jour, nous découvrions de nouvelles facettes du personnage", explique la première. "Souvent, les réalisateurs veulent nous servir d'exemple", note le second, qui ajoute : "Ici, c'était le contraire. Les acteurs étaient invités à faire des propositions, et eux puisaient en nous. C'était très agréable. A un moment, je me suis concentré sur mon rôle comme si je travaillais pour le théâtre."
Autre petit changement dans l'univers des Luc Dardenne : contrairement aux précédents films, l'action du Silence de Lorna ne se situe pas à Seraing, la ville de leur enfance, mais à Liège... "Nous nous sommes déplacés de 10 km", confient les frères. "C'est vrai que Liège est une plus grande ville avec beaucoup de monde dans les rues la journée comme le soir. Pour Lorna arrivant d'Albanie, une grande ville d'Europe représente toutes les espérances. Nous voulions aussi voir Lorna parmi la foule, parmi les gens, physiquement proches d'elle mais ignorant tout de son secret."
A l'occasion d'une interview accordée à AlloCiné, Luc Dardenne a justifié le choix de filmer Lorna dans une forêt, à la fin du film : "L'idée, c'était de donner une solitude au personnage. Il fallait qu'elle ait un moment où elle puisse parler avec "son bébé", qu'elle soit seule, avec seulement le bruit du feu, et un peu les bruits de la nuit dans la forêt. Ca permettait aussi d'amplifier la dimension du rêve -la musique a cette même fonction d'ailleurs."