5sur5 Choisir, c'est renoncer, mais c'est surtout trahir une condition qu'on a accepté d'endosser. Que l'acte ait été accompli à contre-coeur ou sans même vraiment y penser, sans qu'on se soit senti exister et l'affirmer à ce moment-là n'y change rien. Une vie fade et fixe plutôt que se risquer à l'échec de la passion ; la vérité du dilemme de Francesca est peut-être aussi là, dans cette peur de l'abandon, à soi-même, l'énigme éternellement esquivée, à cet Autre et à l'Avenir dont elle redoute d'avoir à connaître un jour les limites.
Elle voudrait rompre cette barrière ; au-delà du doute, probable prétexte, il y a l'attachement contraint à une réalité trop construite, trop solide, trop définie : mais aussi effective que cannibale, elle, quand l'amour n'offre rien d'autre que lui-même. Quand surtout il était inconnu, et alors qu'il arrive peut-être trop tard. Est-ce que le monde saurait l'abriter, est-ce qu'il le broierait ? Francesca a laissé le temps faire, elle est désarmée, sa passivité est devenue la genèse de son sacrifice.
Eastwood ne s'intéresse pas à de jeunes fous ; Francesca, la mère au foyer perdue en Iowa et Robert, le photographe, le voyageur, l'homme libre, connaissent la vie, même s'ils n'ont pas tous les deux osé se mesurer à elle. Le cinéaste saisit les variations subtiles, les poussières du quotidien, les gestes à la vérité simple et insoluble ; mais il ne laisse aucune part au leurre. Pudiquement, il soumet sa caméra à cette rencontre intense parce qu'elle convoque l'amour absolu, élucidé par ses protagonistes mais supplanté et compromis par un contexte élémentaire, celui du devoir, de l'atonie muée en source de déplaisir.
A la lecture du journal de cette aventure, les orphelins de Francesca sortent progressivement de leur torpeur, pour décider de scruter l'idéal, de faire comme s'il était à portée de mains. De choisir, pourquoi pas, une vie, fragile et improbable, qui soit la leur.
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