Depuis une bonne décennie, les nouveaux "talents" bankable sur lesquels misent les producteurs viennent du petit écran, et particulièrement de Canal + : les Nuls, les Robins des Bois, Kad et Olivier, Djamel pour ne citer qu'eux. Mais le problème avec le cinéma, c'est que c'est justement du cinéma, et pas de la télévision. Les deux principales différences entre les oeuvres télévisuelles des différents tenants de l'humour Canal et l'architecture d'un film de cinéma se trouvent dans la durée et dans la solidité de l'histoire. Or, c'est bien souvent dans ce passage aux 90 minutes et aux contraintes de la construction scénaristique que les transfuges de la petite lucarne ont échoué.
Le premier film écrit par Benoît Delépine, "Michael Kael contre la World Comapny" en était la triste et laborieuse illustration. Simple étirement dans le temps du principe expérimenté dans le Journal de Groland, ce navet ne tenait ni la distance ni le rythme et l'humour délayé en devenait pénible. Dans "Louise-Michel", même si un certain nombres de leurs copains viennent faire un cameo (Christophe Salengro, Philippe Katerine, Siné, Matthieu Kassovitz, et si vous restez jusqu'à la fin du générique, Albert Dupontel), il ne s'agit pas d'une adaptation de Grolandsat.
Certes, la Picardie ressemble plus à la Présipauté qu'au Nord des Ch'tis et encore moins à celui de Benoît Dumont, et ce n'est pas un hasard si l'on fait un détour par Bruxelles, tant l'esprit déjanté et la critique sociale peuvent évoquer des films wallons de ces derniers temps tels que "JCVD", "Eldorado" ou "Cowboy". Il y a bien une histoire, entre "The Matador" et "Une journée bien remplie" : des ouvrières d'une usine fermée du jour au lendemain décident d'engager un tueur à gages pour éliminer leur patron. Mais à l'heure de la mondialisation, elles découvrent vite que celui-ci, une fois buté, n'était qu'un rouage d'une longue chaîne qu'elles vont décider de remonter.
C'est précisément dans la construction de l'histoire que réside la bonne surprise : ça tient la route, et même si on ne peut que déapprouver une solution aussi radicale au problème des patrons voyous, on éprouve de la sympathie devant ces ouvrières qui appliquent à leur façon l'autogestion. La scène d'ouverture, l'incinération ratée d'un vieux miltant au son de l'Internationale, le discours paternaliste du DRH (joué par Francis Kuntz, spécialiste des crapules grolandaises) ou la fête des ouvrières au bistrot pour arroser leur nouvelle blouse, tout cela fonctionne bien et donne un cadre intérssant à l'histoire.
Par contre, les deux personnages principaux joués par Yolande Moreau et Bouli Lanners ne sont que des caricatures, des stéréotypes acceptables pour un reportage de deux minutes, mais qui sur une heure et demie ne réussisent pas à exister au delà de leur bien lourdingue ambiguité sexuelle. Yolande Moreau traîne sa carcasse hébétée, et on en vient à regretter son jeu monoexpressif quand elle pouffe de rire en voyant à la télé une marionnette de renard affublée d'une perruque, alors que Bouli Lanners, entre familistère Godin et pavillon des cancéreux, ne retrouve pas son humanité d'"Eldorado".
Quant à la réalisation, elle se contente du minimum fonctionnel, avec des cadrages bancroches et une photographie chiasseuse. Si on retrouve parfois l'humour anar de Groland, et que l'on pense de temps à autre à "L'Argent de la Vieille" ou à "Affreux, sales et méchants", on se sent aussi souvent gêné à la fois par le ratage d'effets poético-absurdes à la mode, et par la caricature finalement méprisante de ces petites gens, légitimée par la description tout aussi blafarde de leurs ennemis de classe.
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