Il existe des films pour lesquels attribuer une note n'a pas de sens, faute d'avoir défini les critères de cette attribution. C'est le cas pour "Slumdog millionaire" : je suis persuadé que la plupart des spectateurs ressortiront heureux de la projection, ayant le sentiment d'avoir vu une histoire émouvante, un brin exotique et façonnée avec roublardise. Il n'en reste pas moins qu'une nouvelle fois, Danny Boyle a réalisé un film de mauvais goût, clinquant, bourré des afféteries à la mode et par ailleurs, non-exempt d'une vision à la limite du néo-colonialisme.
Cet écart se traduit parfaitement dans la moyenne des étoiles de la critique sur le site Allociné : 2 pour la presse, 4 pour les spectateurs, il est clair que les deux n'ont pas vu la même chose. Forcément, les critiques n'ont pas pu ne pas voir la caméra tressautante, les cadrages perpétuellement obliques, l'abus du grand angle, les ralentis systématiques, la musique envahissante et la photographie criarde. Au bout d'un certain temps de ce traitement, je me suis demandé si ce choix délibérément kitsch se voulait une mise en abyme de la vulgarité de l'émission elle-même, qui présente les mêmes caractéristiques : jinggle omniprésent, étirement infini du suspens, déroulement sans surprise.
Le scénario ne brille pas par son originalité, une fois posée la situation de départ, et l'on retrouve tous les ingrédients du genre : des gentils très gentils, des méchants très méchants (l'exploiteur d'orphelins, le caïd maffieux), un fourbe bien fourbe, et le gentil-qui-devient-méchant-mais-se-rachète-à-la-fin. La description de l'Inde se limite à quelques cartes postales (le Taj Mahal, les dhobis lavandiers de Bombay, les call centers), et certaines situations sont montrées sans être expliquées, comme les pogroms anti-mulsumans ou le développement économique et urbain anarchique.
Amitabh Bachchan aurait deux bonnes raisons d'apprécier "Slumdog millionnaire" : il a présenté Kaun Banega Crorepati, la version indienne de Qui veut gagner des millions ?, et dans le film, le jeune Jamal enfermé dans les W.C. préfére plonger dans la fosse septique pour pouvoir lui demander un autographe (on apprécie l'humour) ; cependant, Amitabh Bachchan a dénoncé la représentation de son pays dans ce film comme une nation sous-développée du Tiers monde.
Pourtant, si on laisse au vestiaire son costume de cinéphile, on peut se laisser entraîner dans cette histoire habilement ficelée, faite pour plaire et qui semble y parvenir, en laissant la midinette qui sommeille en vous s'embarquer dans ce conte de la bergère des bidonvilles et du ramoneur des gares de triage. Je conseille aux spectateurs de rester pour le générique de fin où on voit Jamal et Latika danser avec quelques centaines de figurants dans le plus pur style Bollywood, assumant enfin sa kischerie.
Reste que les deux Golden Globes me semblent bien surévalués, même si je n'ai pas encore vu les autres nominés, et notamment "Les Noces rebelles" et "L'étrange histoire de Benjamin Button", et que faire de Danny Boyle le meilleur réalisateur de 2008 me paraît bien rapide, surtout une année marquée par les films de Paul Thomas Anderson, Chris Nolan, Clint Eastwood et James Gray.
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