Tiré du roman éponyme de Ruth Rendell, lui-même oeuvre de fiction relatant le fait divers des "soeurs Papin", La Cérémonie est une tragédie classique, construite selon les règles qui régissent le genre : l'acte un est l'exposition du destin, l'acte trois en est le destin scellé et l'acte cinq le destin accompli. Et, maîtrisant ces codes, Chabrol délivre ici un film magistral dont la tension va crescendo jusqu'au dénouement paroxystique "annoncé".
Acte 1 : Selon un thème Chabrolien par excellence, une famille de la grande bourgeoisie de province engage une domestique très introvertie (Sophie, jouée par Sandrine Bonnaire). Le film, avec une lenteur voulue, engage dès le début une description ciselée de la vie bourgeoise, où les rapports de domination et d'exploitation sont exposés de façon neutre dans un quotidien routinier.
Acte 3 : Sophie s'est nouée d'amitié avec la postière de la petite ville de province (Jeanne, jouée par Isabelle Huppert). Ce sont deux caractères opposés, et là où Sophie est réservée, voire timide, Jeanne est une extravertie sans complexe. Au-delà de cette dichotomie d'apparence, c' est la formation d'un personnage unique/multiple qui importe, personnage à deux facettes donc, mais façonné par une condition d'existence commune faite de drames et de révoltes réciproquement devinés, en allégorie de la classe prolétarienne. Dès lors, les rapports entretenus avec la famille bourgeoise qui emploie Sophie ne peuvent que devenir antagonistes et irréconciliables. Rapports irréductibles donc, qui sont dévoilés à l'instant où la domestique et la fille de cette famille bourgeoise (Melinda, jouée par Virginie Ledoyen) découvrent chacune le secret "honteux" de l'autre, secret qui symbolise leur condition de classe particulière, soit : l'illettrisme pour la domestique et la grossesse avant le mariage pour Melinda. Dans un chantage mutuel, les deux jeunes femmes ouvrent alors les portes de la lutte de classe (ou plus précisément celles de la "guerre des classes" comme le dira Chabrol lors d'une interview accordée à la RTBF).
Acte 5 : Dès que la "guerre de classes" est déclarée, l'issue est connue. Sophie est "renvoyée", mais ce n'est pas pour autant qu'elle quitte la demeure bourgeoise dans laquelle elle était employée. En compagnie de Jeanne, elle l'occupe, à la manière dont les ouvriers grévistes occupent une usine. Il n'y a plus de négociations possibles, les classes sont "nues" et l'affrontement final se produit irrémédiablement.
Sur cette trame allégorique et sur un scénario tiré au cordeau, Chabrol offre un véritable chef d'oeuvre de mise en scène, aux effets toujours subtils mais d'une efficacité redoutable, et pour ne prendre qu'un exemple, les plongées et contre plongées de l'acte final (où le prolétariat en révolte domine la bourgeoisie) sont le résultat d'une intelligence du cinéma peu commune. Ajoutons à cela le jeu époustouflant des deux actrices principales (Bonnaire, Huppert), l'excellence des seconds rôle (Ledoyen, Cassel, Bisset), il ne faut rien de plus pour obtenir un monument du cinéma. Conclusion : A voir et à revoir pour ce que chaque scène est le produit d'un orfèvre de la caméra, et pour ce que chaque minute de dialogue est celui d'actrices et d'acteurs au sommet de leur art.