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soniadidierkmurgia
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4,5
Publiée le 21 juin 2020
Jerzy Kawalerowicz décédé en 2007 était l'un des membres de l'école polonaise aux côtés d'Andrzej Wajda. Il sera moins reconnu et célébré que Wajda dont le cinéma très engagé est à partir des années 1970 assimilé par la critique au mouvement Solidarnosc et à son dirigeant emblématique Lech Walesa. Plus épique et puisant ses sujets historiques en dehors du contexte particulier de son pays, Kawalerowicz prend des chemins de traverse qui l'amène à plus de confidentialité. En 1989 à l'automne de sa carrière, il adapte un roman de son compatriote Juliusz Dankowski ("Jeniec Erupy") relatant la période d'exil de Napoléon 1er à Sainte Hélène. Exil qui dura près de six ans, du 15 octobre 1815 après sa seconde abdication au jour de sa mort, le 5 mai 1821. Les films sur Napoléon sont nombreux mais jamais encore la période la moins glorieuse de son incroyable et contestée épopée n'avait été examinée avec autant de minutie sur l'ensemble d'un long métrage. C'est d'ailleurs précisément l'acmé de ce déclin démarrant en avril 1816 avec l'arrivée du général anglais Hudson Lowe (Vernon Dobtcheff) chargé de coordonner sur l'île la surveillance de l'empereur déchu dont nous parle "L'otage de l'Europe". Kawalerowicz secondé par son chef opérateur Wieslaw Zdort dépeint d'emblée l'atmosphère humide et confinée qui règne sur ce rocher volcanique perdu au large de l'Afrique Occidentale. Puis arrive Napoléon incarné par Roland Blanche, acteur de second rôle français habitué aux rôles de méchants ou d'excentriques et dont les apparitions sont toujours très remarquées. A près de cinquante ans (sensiblement le même âge que Napoléon au début de son séjour), Roland Blanche dont le talent est unanimement reconnu dans la profession, accède par la grande porte à son premier "premier rôle". La responsabilité est grande car avant lui les plus grands acteurs se sont succédés dans le rôle, d'Albert Dieudonné à Marlon Brando en passant par Raymond Pellegrin, Charles Boyer, Jean-Louis Barrault, Rod Steiger ou Charles Vanel . Plus récemment Daniel Auteuil, Philippe Torreton et même Christian Clavier ont endossé la redingote et porté le bicorne de l'empereur. Roland Blanche qui campe un Napoléon malade et en proie à la paranoïa est tout simplement l'un de ceux qui ont le mieux saisit que ce soit physiquement comme dans l'interprétation, la vérité de celui qui jusqu'au bout s'efforça de dominer les évènements et son entourage pour écrire sa légende. Cette performance habitée tient sans doute à l'humilité du grand acteur de théâtre qu'était aussi Roland Blanche trop tôt disparu, se fondant littéralement dans le personnage sans jamais chercher à l'attirer à lui. Sachant que l'occasion ne lui serait pas redonnée de sitôt, il a sans aucun doute voulu marquer de son sceau ce rôle si prestigieux. Pari brillament réussi. Cherchant à demeurer Napoléon alors que ses gardiens ne cessent avec délectation de l'affubler du titre de général Bonaparte, le soldat usé par la maladie et l'amertume regarde dédain au bord des lèvres le drôle manège qui s'orchestre autour de lui. Que ce soit ses généraux tiraillés entre la fidélité et l'envie de prendre le large ou les émissaires des grandes puissances cherchant à s'attirer le respect de celui qui autrefois maitre de l'Europe en est devenu son otage comme le dit si justement le titre du film. C'est donc un Napoléon dupe de rien et cherchant à comprendre ce qui a pu entraîner sa perte qui organise méthodiquement avec le peu de forces qui lui restent la fin de sa vie prestigieuse. Kawalerowicz tout à fait imprégné de son sujet et conscient du potentiel de son acteur principal, orchestre toutes les scènes avec un Napoléon omniprésent qu'il soit ou non à l'écran. Il faut bien sûr adjoindre à la réussite de ce film insolite et injustement oublié, les acteurs français et polonais qui accompagnent le regretté Roland Blanche dans le rôle de sa vie.