L'histoire : La famille Akizuki est vaincue et pourchassée par la famille Yamana. Le général Rokurota Makabe (Toshirô Mifune) est en charge de la protection de la princesse Yuki (Misa Uehara). Après un moment de réclusion dans une forteresse cachée, ils décident de fuir et de gagner une province amie. Ils s’embarquent alors dans un difficile voyage, transportant le trésor familial : de l’or pour reconstruire le royaume. Deux paysans croisent leur chemin…
Akira Kurosawa déclarera à propos de LA FORTERESSE CACHÉE : "Je voulais faire quelque chose d’amusant, un grand spectacle"
Il faudrait en théorie, associer cette déclaration au film précédent de Kurosawa, Le Château de l’Araignée ; apparemment l’un des plus sombres du cinéaste… Ne l’ayant pas vu, je me contenterai d’en extraire quelque chose d’assez révélateur d’une certaine ambition : celle de réaliser un spectacle intemporel, à même de marquer l’histoire du cinéma.
Kurosawa nous raconte d’abord un parcours humain. Pour cela, le cinéaste oppose les caractères et conditions de 4 personnages très différents, et qui forment un groupe auquel on s’attache facilement : d’abord Tahei et Matashichi, drôles non pas par nature mais par leurs caractères et l’ironie de leur situation ; ils sont ainsi deux paysans qui ont tout perdu pour s’engager dans un conflit qui les dépasse, et qu’ils souhaitent fuir. Mais 1/ leur cupidité les incite à toujours effectuer les mauvais choix, et 2/ leur stupidité les empêche de comprendre la plupart des choses, menant souvent à d’hilarants quiproquos.
Ils se confronteront ainsi tous seuls à deux obstacles en apparence infranchissables : l’un physique (la frontière entre deux régions en guerre), l’autre social (accéder à la richesse). La possibilité de transcender ces deux postulats se présentera lorsqu’ils rencontreront assez fortuitement, Rokurota Makabe/Toshirô Mifune et la princesse Yuki/Misa Uehara. Le premier est un samouraï légendaire (donc par principe, ultra-classe) prêt à tout pour protéger sa maîtresse et par extension, sa richesse. Quant à la princesse, elle possède ces traits également très japonais de la jeune fille protégée du monde extérieur et engoncée jusqu’à l’abstraction dans son statut de nobilité. –> voir à ce sujet, notre critique du Conte de La Princesse Kaguya Au centre, la fameuse Forteresse Cachée, vers laquelle convergent puis divergent les personnages, mais également les enjeux du film.
Kurosawa joue d’abord sur les oppositions entre ces 4 protagonistes, ainsi que sur l’absurdité de leurs interactions. L’humour qu’il en extrait désamorce la gravité et la noirceur de certains instants, tout comme il façonne notre empathie envers Tahei, Matashichi, Rokurota et Yuki. Une fois cette empathie bien installée, ces 4 personnages interagiront avec de nouveaux et seront confrontés à des situations plus complexes ; cela sera source de nouvelles aventures, mais également d’une certaine émotion. En filigrane, cette fuite en avant commune sera aussi l’occasion d’éprouver le déterminisme, encore une fois très culturel, qui s’imposait d’emblée à chaque protagoniste. Il y a un beau récit de confiance qui s’installe, de même qu’un discours passionnant sur l’ouverture à l’autre. Il s’agit là d’un trait récurrent chez Kurosawa, cinéaste humaniste s’il en est. Ce discours est d’ailleurs visible très tôt dans sa filmographie, dès Le Plus dignement (1944) ou Qui marche sur la queue du serpent… (1945). Il atteindra l’apogée dans des films à la portée considérable, comme Barberousse (1965). La mise en scène de Kurosawa compose de magnifiques tableaux, avec un sens du cadre et de la composition incroyable. On ressent la patience et l’acuité du réalisateur derrière chaque plan (la sortie du brouillard au début du film !), chaque ambiance (le film est pour beaucoup tourné en décors naturels), chaque morceau de bravoure (le combat à cheval, le combat des samouraïs). Sa mise en scène, si puissante soit-elle, est cependant toute entière au service du récit, des personnages, de l’humour, de l’aventure et de l’évasion. On restera ainsi bluffé par la façon dont Kurosawa réduit des concepts complexes à de simples idées « visuelles » à même de marquer l’imaginaire.
Le scénario est en réalité, extrêmement épuré : aller d’un point A à un point B. Pourtant, Kurosawa nous invite à comprendre comment les personnages et leurs destinées individuelles sont façonnés par la persistance de l’environnement dans lequel ils évoluent. En transmettant cela par l’Image, il y a un dialogue d’une fantastique universalité qui s’établit entre nous et ce récit d’une autre époque. Cette propension à raconter une histoire par la puissance visuelle ( direction artistique, mise en scène, direction d’acteurs et richesse de l’environnement ) m’a d’ailleurs « rappelé » deux autres excellents films de fuite en avant: Les fils de L’Homme, et Fury Road.
De notre point de vue occidental LA FORTERESSE CACHÉE, est un très grand récit d’aventures. Un film exotique ( le Japon féodal ), construit autour de personnages attachants, nous rendant extrêmement palpable une mythologie riche et complexe et mis en scène avec un sens de l’organisation et de la cohérence phénoménal. Akira Kurosawa, en cherchant l’accessibilité par l’humour notamment, parvient à rendre universelle une histoire profondément japonaise – un trait d’ailleurs commun à tous ses grands films, sauf peut-être Ran qui tend vers l’inverse.
Puis, il y a tellement de puissance et de talent dans LA FORTERESSE CACHÉE qu’on perçoit sans mal l’influence qu’il a pu avoir sur d’autres œuvres illustres comme « au hasard », le fameux Star Wars épisode IV. Revoir ce chef d’œuvre de Kurosawa nous amène ainsi tout naturellement, à constater son importance dans l’inconscient collectif.
LA FORTERESSE CACHÉE a été chroniqué dans le cadre d’une rétrospective consacrée à AKIRA KUROSAWA dans le cadre du festival Lumière 2015. Critique issue du Blog du Cinéma