Making Of est sans doute le premier film tunisien à aborder le phénomène islamiste. Un sujet rendu d'autant plus délicat et tabou que la censure veille plus que jamais dans le pays. Dans Les Sabots en or, Nouri Bouzid montrait la montée de l'intégrisme par la destruction de la gauche. Le final entre les deux frères, l'un de gauche, l'autre intégriste, a valu au cinéaste une condamnation à mort par les étudiants islamistes. "On m'a reproché des excès de violence. Ce qui m'intéresse, c'est d'anticiper et on a vu pire se passer en Algérie après le film" expliqueNouri Bouzid. Il ajoute : "l'idée de Making Of est née le 11 septembre 2001, pendant le tournage de Poupées d'argile. Après chaque attentat, on voyait aux JT des citoyens européens qu iposaient la question récurrente : "pourquoi ont-ils fait ça ?". Il y avait la réponse américaine, l'axe du mal, et tout le cortège de provocation qui venait cultiver le terrorisme. J'ai voulu contribuer au débat, par une des multiples réponses qui peut venir de l'intérieur. En essayant de comprendre, sans caricaturer, la manipulation que vit un jeune rebelle, candidat au terrorisme. Je voulais parler du lavage de cerveau. Je ne pouvais pas en parler sérieusement sans revenir à la source : le Coran".
Le Coran appartient au domaine du sacré, en pleine expansion dans le monde musulman. Nouri Bouzid pose une question presque tabou : A-t-on le droit de travailler dessus ?" . Pour lui, la réponse est oui; "seul un musulman peut en parler, pour être efficace, et de l'intérieur, sans être taxé d'islamophobie. La critique de l'idée que le Coran est valable partout et tout le temps, était essentielle pour expliquer le terrorisme. Dans la 2e partie du Coran, le Djihad est une thèse récurrente, omniprésente. Il fallait prendre le risque d'en parler, en se basant sur le principe de la laïcité. Parler de ça était pour moi une urgence, avant d'arrêter de faire des films. D'ailleurs le titre original dde Making Of est Le dernier film".
Making Of de Nouri Bouzid a reçu plus de 25 prix dans les festivales internationaux : Prix d'interprétation masculine et du meilleur scénario au Tribeca Film festival de New York; le Grand Prix Spécial du Jury au Festival du film Méditerrannée de Bastia; le Tanit d'or aux Journées Cinématographiques de Carthage, le Grand Prix Spécial du Jury et Prix d'interprétation masculine au Festival de New Delhi...
Le sujet du film, hyper sensible, dans un pays confronté à la montée de l'islamisme et où la liberté d'expression est un combat permanent, a aussi une résonnance toute particulière pour Nouri Bouzid. Rentré en Tunisie au début des années 70, le cinéaste adhéra au mouvement contestataire "Perspectives". Jugé et condamné par la Cour de Sûreté de l'Etat, il fut emprisonné de 1973 à 1979 pour appartenance à la direction du GEAST (Groupes d'Etudes et d'Action Socialiste Tunisien). Par ailleurs, le thème du film effraya même l'acteur principal Lotfi Abdelli. Nouri Bouzid explique : "deux raisons dans le scénario m'ont poussé à faire des coupures documentaires. D'abord, l'idée que la lutte contre le terrorisme doit aller de pair avec la lutte pour la liberté d'expression. L'acteur Lotfi Abdelli a réellement eu peur car il ne connaissait pas ces coupures. le film était tourné dans l'ordre chronologique, donc il les a vécues directement. La deuxième raison, c'est de ne pas limiter la conception de l'Islam à celle de l'intégriste. Bahta ne fait pas le poids. Alors il y a recours au comédien et au réalisateur qui eux peuvent défendre une vision claire. Du fait de la peur réelle de l'acteur, le tournage était l'enjeu majeur du film. Finalement Making Of porte quatre visions différentes de l'Islam, et ouvre le débat".