A bientôt 80 ans, Clint Eastwood continue à tourner des films avec la régularité d’un métronome. Un par an au minimum, parfois plus, en changeant de thèmes, d’univers, d’acteurs. Parfois où on l’attend, quand il recycle ses vieux films et ses valeurs comme dans Million Dollar Baby ou encore Grand Torino. Et parfois où on ne l’attend pas du tout, comme dans cet espèce de biopic sud-africain ayant pour thème central…le rugby, soit un des sports les plus inconnus des américains.
1995, Afrique du Sud. La coupe du monde de rugby approche, mais l’équipe nationale, minée par des années de boycott des compétitions internationales du temps de l’Apartheid, n’est pas au niveau. Le président Mandela s’investit personnellement dans la préparation de l’événement, persuadé que les Springbox peuvent être une passerelle entre les blancs qui les adulent et les noirs, qui peinent à se passionner pour le rugby, ce sport de riches.
On peut s’interroger sur ce qui aurait été dit si n’importe quel autre cinéaste qu’Eastwood s’était saisi du sujet. On aurait sans doute assisté à un procès en bonne et due forme de la naïveté américaine, qui se permet de réaliser un film joyeux et positif sur un pays où la réalité a été, et est toujours beaucoup plus contrastée. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : plus de deux heures de bons sentiments dégoulinants, de vision assez réductrice, de discours vibrants et de tough-speechs sur le terrain et dans les vestiaires. Un film américain dans le sens le plus banal du terme avec son cortège de louanges pour l’engagement et l’amour de son prochain. Quand le petit enfant noir est porté sur les épaules de gros racistes blancs à la fin de la finale et qu’on passe en boucle des images des bars pauvres de la ville où les supporters affluent, on est pas très loin ni de Michael Bay, ni de Rasta Rockett. De la part d’Eastwood qui est le meilleur représentant d’un cinéma noir, fin et ambigu, le grand écart est assez inattendu.
Une fois acceptés le pré-requis des raccourcis et de l’émotion facile, on peut quand même se laisser emporter par le film, qui est par ailleurs plutôt bien mené et assez plaisant, à défaut d’être fin et passionnant. Il faut dire que Mandela est un excellent personnage de cinéma. Président décalé, à la fois très humain et profondément calculateur, ex-prisonnier et résistant, il ne possède pas toutes les manières polissées et calculées des politiques « de métier ». Morgan Freeman lui prête son talent et son métier, et son charisme naturel fait le reste : il s’efface complètement derrière le personnage, dans un mimétisme très réussi qui bouffe l’écran à chaque fois qu’il apparaît. L’histoire est connue, elle n’en reste pas moins efficace, surtout quand elle met en avant les enjeux sportifs et la liesse populaire, avec un rythme impeccable et des images qui peuvent difficilement laisser indifférents. Cerise sur le gâteau, le film est régulièrement drôle et tendre, en particulier à travers la rivalité que se livrent les gardes du corps blancs et noirs. Quant au traitement du rugby, il pourra décevoir les aficionados de la discipline, vu qu’il n’est traité qu’en tant que sport de contact et pour les valeurs qu’il véhicule, pas vraiment pour la beauté du jeu. D’ailleurs, les matchs sont filmés à la manière du football américain en se contentant de montrer des mecs qui se rentrent dedans avec allégresse, sans qu’on comprenne bien qui est où.
En résumé, un film plaisant et facile qui donne envie de se replonger dans l’histoire sud-africaine. Mais définitivement une œuvre mineure dans la filmographie de Clint Eastwood
http://dh84.over-blog.com/.