Tinto Brass a enchainé dans la suite de sa carrière des films érotiques parfois lourds, parfois réussis, mais plus proche d’une collection Harlequin trash qu’autre chose. En début de carrière il réalisa deux films qui promettaient tout de même un réalisateur plus ambitieux : Salon Kitty et Caligula.
Salon Kitty est un métrage qui, à l’évidence, ne doit pas être mis entre toutes les mains, ou sous tous les regards, car c’est un film trash à bien des égards. De certaines scènes érotiques aux allures de cirque Barnum, aux scènes d’abattoirs bien crades, Salon Kitty pourra aussi apparaitre moralement discutable. Après, ça c’est un aspect subjectif que je ne jugerai pas ici, je m’appuierai uniquement sur des points objectifs, et Brass réalise un métrage très solide.
Il y a des défauts, malgré tout. La première partie ressemble un peu trop à un catalogue d’images trash, histoire de poser le décor peut-être, mais qui ne répond pas franchement à la seconde partie qui oublie très largement cet aspect. Brass semble en fait profiter de sa première partie pour se faire plaisir, mais beaucoup de ses scènes n’ont en fait aucune utilité dans l’intrigue, et paraissent souvent futiles, ici pour garantir le côté anti-consensuel de Salon Kitty. Et puis il faut avouer que Brass a une mise en scène parfois foutraque, avec toujours sa tendance aux gros plans assez vains, qui n’ont, là aussi, pas d’utilité véritable au propos du film. En somme, Brass semble parfois vouloir faire un vrai film érotique, mais ne pas assumer pleinement ce statut, et cette première partie de métrage est réellement celle qui expose le plus sensiblement ce paradoxe.
Reste que Salon Kitty a des atouts notables. Formellement très abouti si l’on omet les quelques effets de style parfois ratés de Brass, on ne peut qu’être séduit par le travail de reconstitution et l’effort fait sur les décors. Superbes, porté par une photographie froide d’une grande élégance, Salon Kitty est un sommet de l’érotisme chic, et le travail est incontestablement brillant, jusqu’aux uniformes, aux costumes, d’une grande richesse de détails. La bande son est au diapason, rétro et classique, en parfaite adéquation avec ce métrage, dont on regrettera peut-être juste qu’il n’y ait pas un peu plus d’extérieurs. Mais cela renforce aussi le côté parfois étouffant du film.
Le casting est porté par des interprètes solides, avec bien sûr le duo de stars de l’époque : Helmut Berger et Ingrid Thulin. Convaincants, Berger colle parfaitement à ce rôle d’officier nazi sans scrupule et Ingrid Thulin hérite d’un personnage plus intéressant qu’on aurait pu le croire au début. Côté second rôle Brass a recruté un nombre marquant de « gueules », du discret Baccaro à Dan Van Husen, impressionnant officier nazi, et trogne qui fait toujours son effet ! On notera encore la très belle Teresa Ann Savoy, qui est en fait la véritable héroïne du film, et qui livre une prestation aussi sexy que subtile. Dans l’ensemble, les interprètes collent parfaitement à ce qu’on leur fait faire et à leurs rôles.
Le scénario est assez simple, entre romance impossible, vengeance, perversité, cela sur fond d’espionnage historique, Salon Kitty est un film à l’intrigue sobre, mais avec beaucoup de sujets abordés, d’idées et de sentiments contrastés. Tout cela vient lui donner du volume. S’il y a quelques longueurs, spécialement dans la première partie, Salon Kitty n’est pas spécialement ennuyeux, et il profite réellement d’une dernière partie tendue fort réussie. Honnêtement, le début peut laisser assez dubitatif, car il laisse craindre une succession de scènes érotiques trash sans réel liant, et qu’on imagine terriblement pénible sur 2 heures. Mais Brass arrive réellement créer une intrigue et à donner du volume à son propos, et c’est heureux.
En clair, Salon Kitty est un film provoquant et qui n’est évidemment pas du tout destiné aux âmes sensibles. Reste que Brass signe un de ses films les plus aboutis formellement, et aussi, sûrement, scénaristiquement. Sans échapper pleinement à ses travers quasi-habituels, ce qui donne une première partie plus faible, le réalisateur parvient à convaincre ici. 4