Premier essai pour Jeff Nichols, un homme à suivre de près, le cinéaste ayant été éblouissant avec son deuxième film, Take Shelter, Shotgun Stories démontre déjà la véritable identité du réalisateur, un homme du cinéma indépendant, un vrai. Alors déjà accompagné de son acteur fétiche, le très talentueux Micheal Shannon, Jeff Nichols nous propulse dans les lointaines contrées de l’Amérique profonde, très profonde, au fin fond d’un état qui ne fait jamais parler de lui, l’Arkansas. Quelque part entre d’innombrables champs de coton et quelques étendues d’eau, pisciculture oblige, vivent trois frères déshérités, de mère indigne et de père encore plus mauvais. Traînant leur bosse dans un univers ou rien ne se passe, ou la misère pointe le bout de son nez, les trois frangins sont alors confrontés à leur demi-frères, rejetons de deuxième mi-temps du père qui les avait laissé en plan, alors que l’on enterre celui-ci. Un conflit naissant vient troubler la vie sans lendemain des deux familles, un conflit qui ne cessera de croître pour terminer dans le sang et la violence.
C’est bien d’une histoire de famille dont Nichols nous parle, d’un drame familial peu commun qui voit deux fratries se faire la guerre alors que le père, le vrai, est maintenant six pieds sous terre. Délaissés, quasiment dépendants de leurs entourages, les frères Hayes, les trois premiers, lutteront pour leur honneur face à la progéniture de leur père, celle qu’ils voient comme plus aisée, ayant eu la chance dont eux nous put bénéficier. Le contexte est drôlement malsain, mine de rien, alors que Nichols raconte son histoire en édulcorant la violence qui s’y infiltre, préférant éviter de montrer du sang pour mieux capter l’énergie des personnages, leurs détresses, leurs doutes, leurs émotions. Beaucoup en voudront au cinéaste d’avoir caché les actes pour mieux cerner le contexte. Son budget dérisoire n’aura toutefois, peut-être, pas permis au réalisateur d’aller au fond de sa mise en scène, celui-ci ayant adopté la posture de voyeur extérieur au conflit, nous épargnant les cris, les coups et la violence.
Ce n’est sans doute pas le genre de film que l’on absorbe aisément, qui nous est narré sans détour, sans aspérités. Jeff Nichols, que l’on soit d’accord ou non avec son procédé, aura pris les chemins de traverses, ceux permettant de voir sans prendre parti, sans se montrer, un peu le nerf de la guerre. Finalement, d’autres se demanderont encore la signification du titre, histoire de fusil à pompe, traduction littéraire. Là encore, le sujet est abordé par le travers. Le fusil, finalement le seul, acheté par le frangin encore sur ses jambes sera l’équivalent du summum de la violence qui déchire la famille, un peu la goutte d’eau qui pourrait faire déborder le vase, je dis bien qui pourrait, quand bien même le même vase aura déjà débordé.
Immersion intensive en pleine Amérique des déshérités, sur fond musical mélancolique de toute beauté. Si Nichols n’aura pas eu grand-chose à raconter avec son scénario, il aura démontré une réelle envie de filmer autre chose, de glisser ses objectifs dans le sillage de personnages inédits au cinéma, des gens comme vous et moi, d’êtres humains confrontés au pire mais qui ne s’envolent jamais loin de leurs nids, qui reste terre-à-terre malgré la mode hollywoodienne qui veut que tout un chacun puisse devenir un cador de l’action, un bienfaiteur de l’humanité ou un héros plébiscité. C’est sans doute cette sagesse, cette quasi timidité qui prétérite la bonne lecture d’un film franc du collier mais sans doute trop morne, trop gentil, pour réellement séduire large. 10/20