Leigh Whannel oscille dans sa carrière entre le bon et le médiocre, en gardant toujours une constance de réalisation empruntée à son compère, James Wan, ainsi qu'une passion dans l'écriture de ses scénarios contagieuse et réjouissante. Là où son précédent Upgrade se construisait comme un hommage décomplexé et ultraviolent aux univers dystopiques créés par Philip K. Dick ainsi qu'aux délires mécaniques et novateurs de Robocop et Terminator, Invisible Man répète plus l'essai tonitruant de Verhoeven, L'Homme sans ombre, que ce qu'il aurait pu porter comme regard aimant sur les adaptations de la Universal ou de la Hammer.
Il n'y porte pas d'hommage particulier, donnant tout ce qu'il a comme ressources pour associer la figure du mythique homme invisible au sous-genre populaire du film d'esprit : quelle différence pourrait-on se dire, en allant voir sa nouvelle réalisation, entre un sociopathe qu'on ne voit pas et un fantôme malfaisant avec une force surhumaine, qui se manifestera crescendo jusqu'au dernier quart-d'heure où l'on pourra apercevoir les traits physiques du fameux démon, à la Conjuring ?
Whannel aura évité le piège de la simple transposition en réinventant sa mise en scène basée sur le film d'épouvante à esprits démoniaques : là où il laisse croire, dans Insidious, à la présence de l'esprit parce qu'il joue sur des espaces intérieurs vides et de lents plans tout en appréhension, il place Elisabeth Moss de sorte à ce qu'elle n'occupe que la moitié du cadre, laissant le reste de l'écran d'une largeur équivalente à celle d'un corps d'homme (possiblement invisible, donc).
Est-il là ou sommes-nous trop craintifs? Les questionnements presque paranoïaques sur la présence d'Adrian dans la pièce redynamisent des codes qu'il était jusqu'ici difficile de considérer sans l'apparition prévisible (et souvent risible) de jumpscares avec plus ou moins de budget, artifice parfait pour donner l'impression au spectateur qu'il a peur sans avoir à se casser la tête pour lui façonner une oeuvre avec une véritable atmosphère.
Des jumpscares, on ne retiendra que cette introduction posant admirablement l'ambiance lente, oppressante et glauque de cette révision du personnage, avec un screamer réussit dans le sens où il amène à l'écran un détail important de l'intrigue et de la vie de couple de l'héroïne. Il n'y en aura pas d'autres, du moins pas aussi frontaux : très discrets, ils s'effacent derrière un travail sur le son saisissant, qu'il concerne sa bande-originale ou ses bruitages dérangeants (celui de l'homme invisible est un bon élément de caractérisation).
Ce son écrasant complète parfaitement sa mise en scène moderne mais bourrée de codes de films d'épouvante d'une vingtaine d'années, construite comme une sorte de révision de ce que fait James Wan en terme de suspens. Sans pour autant copier son compère, Whannel s'en inspire avec pertinence et nous livre un cadrage fascinant qui joue les huis-clos avec une maîtrise insoupçonnée : le réalisateur nous prouvant qu'Upgrade n'était pas un coup de chance de débutant, il se fait un malin plaisir à traduire tout le malsain de son intrigue et de ses personnages, que le maquillage aliénant de Moss rend encore plus crédible.
C'est cependant dans son écriture que le film déçoit le plus, Leigh Whannel ne brillant plus depuis longtemps pour sa rédaction (au point qu'une part de sa carrière soit considérée comme médiocre). Invisible Man nous fait ainsi sortir de maintes fois de son histoire par l'idiotie affligeante du comportement de ses personnages : récupérer un portable pour attester ce qu'on dit, raconter autre chose que 10% de ce qui vient de se passer pour convaincre son auditoire et passer autrement que pour une folle furieuse.
C'est dans les non-dits qu'il se vautre le plus, jouant la carte énervante du personnage renfermé sur lui-même parlant peu avec les autres (ou n'ayant pas les bons réflexes et les bons mots au bon moment, ce qui peut se comprendre jusqu'à un certain point) pour que perdure son intrigue et que le monde extérieur comprenne trop rapidement que cette victime de l'emprise d'un homme vil ne dit pas que des choses improbables.
Le choix d'Elizabeth Moss, grimée dès le départ en faciès atteint de pathologie psychiatrique latente et jouant dans le sens d'une venue crescendo de la folie, allait au départ dans un sens intéressant, qu'une partie de l'oeuvre perpétuait de façon intelligente : et si cette femme manipulée, bafouée, torturée psychologiquement cachait elle-même des troubles psychiatriques excusant son propre comportement auto-destructeur et hétéro-agressif?
Rapidement abandonnée, cette alternative à l'habituel film à méchant aurait plus convenu à une production indépendante à plus petit public, Invisible Man se forçant presque à choisir la voie de l'action, de la violence et du spectaculaire dans une dernière partie incohérente à l'asile (les répercussions sont jetées à la marre sans aucun respect pour les capacités de logique et de réflexion du spectateur) avant de se calmer et de conclure son arc au travers d'un ultime combat plus intimiste, presque proche de la tension d'un face à face Hopkins/Foster, habile et psychologique.
Si cette fin à échelle humaine rassure sur le déroulé global de l'oeuvre, il n'empêche qu'elle jure cruellement avec les minutes précédentes, tournées du côté du jouissif, du super-vilain intouchable agissant ainsi pour que l'héroïne épouse enfin son rôle de super-héroïne de cinéma d'action à suspens (genre auquel il n'appartenait jusqu'ici absolument pas), et que Whannel cite quelques divertissements régressifs d'antan dont il est amateur (ce qu'il faisait aussi avec Upgrade).
Tout autant passionné qu'il est incapable de pondre un scénario vraiment cohérent, à échelle humaine et sortant des sentiers battus, Leigh Whannel marque autant dans ses réalisations/scenarii que dans ses productions parce qu'il est tout aussi passionné et sincère que son compère James Wan, artistes habitués à reprendre dans leurs oeuvres les caractéristiques des films qui auront battit leur enfance, leur cinéphilie et leur auront permis de réinventer des codes qui traceront, n'en doutons pas, la direction à suivre pour les futures générations de cinéastes d'épouvante/horreur à suspens.