L'homme invisible, encore lui ! Comment pourrait-il encore nous surprendre ? On s'était déjà posé la question lorsque Paul Verhoeven avait dirigé Kevin Bacon en 2000 dans Hollow Man, revenant après les incursions télévisées plus édulcorées, à une version malsaine telle qu'H.G. Wells l'avait imaginé en 1897. Il y faisait sombrer son personnage dans une folie née de l'exploration des interdits, d'un nouveau champ de possibilités et de l'impunité d'agir sans crainte de représailles.
Dans cette nouvelle version, Leigh Whannell pousse encore un peu plus cette notion d'impunité en la liant à un esprit déjà emprunt d'une perversion narcissique, pour un résultat d'abord étouffant puis détonnant.
Notre homme invisible est encore une fois un scientifique de renom, surement professionnellement estimé, avec une aura de leader que l'on devine immense, à l'image d'un Steve Jobs. Mais ici, dès les premières minutes, c'est l'intimité de sa relation avec sa femme qui va nous être présentée dans une scène d'introduction à la lenteur immédiatement oppressante. Le titre suffit à rendre les premiers plans anxiogènes et même si l'intrigue n'est pas lancée, le réalisateur de l'intéressant bien qu'inégal Upgrade joue déjà avec les hors-champs et l'invisible. La fuite de Cécilia qui sera ici le personnage principal et la victime, a des allures de dernière chance. Sans dialogues, chacune de ses actions, de ses précautions, suffisent à dresser le portrait de l'ennemi intime qu'elle tente de fuir. Le danger est immédiat et le répit sera de courte durée.
Sous les traits de la bluffante Elisabeth Moss, Invisible Man prend d'abord le parti de l'ambiguïté, de la folie face à l'impossible discours tenu par Cécilia. Le film appuie sur les liens indéfectibles et malsains que la main-mise et le contrôle d'une personne sur une autre peuvent avoir. Leigh Whannell en profite clairement pour faire passer un message simple en mettant le doigt sur les violences conjugales au delà des blessures physiques. L'invisible possède une présence certaine, résultat de cette formidable introduction et, de simples plans fixes continuent de jouer avec nos nerfs en invoquant l'absence d'une présence qu'on ne peut s'empêcher d'imaginer. Evidemment empathique, désireux qu'il ne soit aucunement question d'instabilité mentale chez Cécilia, on reste aux aguets, on scrute chaque détails, à la recherche du moindre mouvement.
Et si on espère secrètement que la folie restera le point central d'une intrigue qui ne nous donnerait finalement que très peu de réponses, voyant la folie s'insinuer inexorablement dans l'esprit de notre héroïne malmenée, le choix de lever toute ambiguïté n'en reste pas moins appréciable.
L'escalade vers la certitude est rapide et violente. On quitte le thriller psychologique pur pour des effets de caméras des plus réussis. Avec le rythme moins contemplatif vient une violence physique évidente, uniquement mentionnée et qui nous avait été épargnée jusque là. On retrouve ces plans vifs qui faisaient déjà leur effet dans Upgrade, fixés sur la chute des corps suite aux échanges de coups. Le film ne perd pas en efficacité et l'intrigue reste haletante dans ce jeu du chat et de la souris avec son lot de scènes marquantes (le restaurant, les couloirs de l'hôpital).
Si les ficelles tirées activent des mouvements qu'on anticipe aisément, il faut reconnaître que le plaisir reste intact jusqu'à la conclusion.
Cette nouvelle lecture de l'homme invisible, bourreau machiavélique relégué au second plan derrière le formidable jeu d'Elisabeth Moss donne donc le change tout en tension plus ou moins subtile, en dénonçant l'emprise intime d'un pervers narcissique sur ses victimes. Un film à l'efficacité certaine.