Ce n'est pas si fréquent de voir le cinéma français grand public s'intéresser à autre chose que les émois germanopratins ou les images d'Epinal de l'Histoire de France. Je ne devrais donc pas bouder mon plaisir devant l'ambition de Marc Dugain, à la fois dans le choix du sujet, la fin du règne de Staline, et dans la forme retenue, à savoir celle d'un film en français avec un casting hexagonal. Après tout, le cinéma américain ne se gêne pas de tourner "Mémoires d'une Geisha" en anglais, et le fait que les dialogues "Lettres d'Iwo Jima" aient été joués en japonais avait été souligné comme une anomalie dans la production hollywoodienne.
Marc Dugain fait partie de cette cohorte croissante, celle des écrivains qui deviennent réalisateurs. Si certains s'en sortent honorablement (Emmanuel Carrère avec "La Moustache", par exemple), ils sont plus nombreux à illustrer le fait qu'écrivain et réalisateur, ce sont deux métiers différents (Alexandre Jardin, Michel Houellebecq et Eric-Emmanuel Schmitt, pour ne citer qu'eux). Dans une interview à Allociné, Marc Dugain montre au moins une certaine rélexion cinématographique, justifiant par exemple le choix de filmer à l'épaule pour illustrer la peur tout en s'opposant à la mode parkinsonienne que je dénonce à longueur de critiques.
Le choix de faire comprendre l'oppression quotidienne du peuple soviétique sous la tutelle satlinienne en s'attachant à des personnages quelconques comme Anna et Vassili n'est pas à remettre en cause, et la description de la surveillance mutuelle et le chantage permanent à la dénonciation ("Personne ne peut protéger personne, mais tout le monde peut dénoncer tout le monde") fonctionne plutôt bien, symbolisés par les deux excellents sociétaires de la Comédie Française, Denis Podalydès en concierge antisémite et Grégory Gadebois en chef de service libidineux.
De même, l'incarnation de Staline par l'acteur primesautier de Pascal Thomas et d'Alain Resnais s'avère être finalement plutôt une bonne idée ; André Dussolier campe le dictateur avec un calme et une retenue qui rendent cette bonhommie encore plus menaçante, et même s'il est parfois un peu engoncé dans son maquillage, sa vareuse et sa bouffarde, il réussit plusieurs fois à donner vie à sa statue du Musée Grévin.
Non, ce qui ne permet pas au film de se hisser au niveau des ambitions annoncées, c'est à la fois une réalisation molle du genou et des dialogues trop littéraires du type : "Tu es tellement habituée au malheur que quand il n'y en a pas, tu es malheureuse", "Je n'ai pas le pouvoir de t'attribuer un logement, je ne suis que Staline", ou "N'oublie pas tes mains, je viendrai avec mes douleurs". L'absence de rythme rend encore plus criant le manque d'épaisseur du scénario, et certains choix revendiqués se retournent contre l'intension affichée, comme la photographie maronnasse et l'abus de courtes focales qui finissent par fatiguer l'oeil.
Et puis, il manque la dimension russe à ce film essentiellement tourné en studio à Bry-sur-Marne (ce qui explique le réveil Japy dans la chambre d'Ana ?). Il faut dire que je viens de voir "Tsar" (critique à venir), et la comparaison est cruelle pour le film Marc Dugain, qui apparaît aussi slave que le regard d'un entomologiste sur une mante religieuse. Ce n'est pas le fait que les dialogues soient dits en français qui pose problème, c'est plutôt le fait que ça souligne de façon criante que cette histoire aurait pu se passer dans n'importe quelle dictature. J'ai assez sévèrement critiqué "Le Concert", mais j'avais apprécié la folie moscovite de la première partie. C'est cette absence de russitude, plus encore que le manque de rythme et d'épaisseur de l'intrigue qui font d'"Une exécution ordinaire" un film lui aussi bien ordinaire.
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