Il est des formulations dans les critiques de la presse qui sont comme des aveux : "Un film aussi puissant que nécessaire" (Métro), "Le genre de film qu'il est difficile de critiquer, tant il est nécessaire" (Excessif), "La Rafle fait oeuvre utile" (La Croix), "La retenue et la sincérité d'un film nécessaire" (Ouest-France) : tous insistent sur la nécessité et l'utilité du projet, avec une gêne sous-jacente de parler de "La Rafle" pour ce qu'il est aussi, un film, comme si oser critiquer un tel film relèverait du révisionisme faurissonnien. Pourtant, Rose Bosch a choisi le film de fiction et non le documentaire, et "La Rafle" doit pouvoir être critiqué comme n'importe quelle autre oeuvre.
Le cinéma a déjà évoqué la Rafle du Vel' d'Hiv', essentiellement dans "Les Guichets du Louvre" de Paul Mitrani en 1974 et dans "Monsieur Klein" de Joseph Losey en 1976. Dans ces deux films, la rafle servait de toile de fond et les réalisateurs s'attachaient à des destins individuels pour évoquer le sort collectif. Ce n'est clairement pas la voie choisie par Rose Bosch, qui a décidé de tout montrer : la vie avant la rafle, Hitler dans son nid d'aigle, les conciliabules entre Pétain et Laval, les négociations entre Bousquet, Leguay, Knochen et Danneker, l'internement au Vel' d'Hiv puis au camp de Beaune-la-Rolande...
Cet aspect didactique ne fonctionne pas, et la volonté de faire comprendre les responsabilités de chacun amène à plomber l'ensemble d'un aspect téléfilm de France 3, frisant parfois le ridicule, comme dans cette scène où les ministres applaudissent Pétain, ou celles singeant les films en Agfacolor d'Eva Braun filmant Hitler dans son nid d'aigle. Quant au gros plan du führer éructant dans son micro, elle m'a fait penser au "Dictateur", et la comparaison était cruelle...
Dans son intention pédagogique, la réalisatrice a multiplié les choix, finissant par perdre sa ligne directrice : outre les reconstitutions-images d'Epinal, elle a à la fois choisi de suivre une famille, celle d'un ouvrier trotskiste joué par Gad Elmaleh, mal à l'aise devant la responsabilité historique d'un tel rôle, et notamment le destin de son fils Joseph, et en même temps, afin de permettre une identification (de qui ? de ceux qui pense comme Raymon Barre qu'il y a des victimes moins innocentes que d'autres ?) elle centre le récit sur le personnage d'Annette Monod, incarnée avec retenue et justesse par Mélanie Laurent.
Enfin, elle ponctue le film de personnages secondaires à visée là encore pédagogique, censés représenter l'état du peuple français en 1942 : la boulangère antisémite (forcément grosse et moche), l'instit au grand coeur, le curé qui porte une étoile "Ami des Juifs", le capitaine des pompiers incarnation du service public. Dans l'ensemble, les héros quotidiens se situent parmi les petites gens, les salauds dans les institutions de l'Etat Français, reprenant ainsi la vision gaulliste du peuple résistant et de Vichy, accident de l'histoire.
Afin de jouer du contraste avec ce qui va suivre, la première partie nous montre un Montmartre idyllique, entre Robert Doisneau et Amélie Poulain, où les gamins portant l'étoile jaune chantent aux terrasses des cafés pour recevoir des pièces des officiers allemands, avant de leur piquer leur casquette. La réalisatrice explique que c'est pour mieux s'attacher aux personnages et notamment les enfants, mais cette façon de présenter la vie des juifs jusqu'en juillet 1942 me paraît bien naïve.
Rose Bosch explique aussi la génèse de son projet par cette observation : "le fait qu'il n'y ait aucune image - juste une photo des bus vides devant le Vel' d'Hiv' - me bouleversait." C'est vrai que la reconstitution (essentiellement en 3D) du Vel d'Hiv' est assez impressionnante, et permet de se rendre compte de l'entassement de ces milliers de personnes dans des conditions insupportables. Mais la précision de cette reconstitution ne suffit pas, et scénaristiquement parlant, c'est surtout l'occasion de multiplier les scènes édifiantes : la générosité des pompiers, l'héroïsme quotidien du Français de base incarné par le plombier, et les dialogues insistants : "Dis, tu crois qu'on sera grand un jour ?".
Alors qu'une des intentions annoncées parvient à fonctionner, à savoir l'attachement aux personnages des enfants, Joseph et Nono particulièrement, la scène de la séparation des familles concentre tout ce que la mise en scène peut avoir d'excesssif : ralentis, gros plans sur les visages tordus de douleurs, champ-contre champs systématiques, musique lacrymale ; tout ce fatras appelé au secours, comme si les faits rapportés n'étaient pas suffisants en soit.
Devant cette grosse artillerie, lentement m'est revenu en mémoire le contre-exemple parfait, le film français permettant d'appréhender toute la dimension humaine de cette tragédie en plaçant la caméra à hauteur de personnage enfantin et en laissant à ces personnages le temps de créer de la véracité absolue : "Au Revoir les Enfants". Il y a entre le film de Rose Bosch et celui de Louis Malle tout ce qui sépare une grosse machine de producteur formaté pour arracher les larmes et assurer les entrées et un véritable film de cinéma : le talent d'un auteur.
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