Sorti fin 1932, Rich and stranger (trad. littérale « Riche et étranger », titre d’exploitation français « A l’est de Shangaï ») est un film britannique d’Alfred Hitchcock.
Œuvre atypique dans la filmographie du « maître du suspens », A l’est de Shangaï s’apparente à une comédie dramatique. Le récit : un jeune couple londonien, composé d’un mari aspirant à une vie plus fantasque et une femme se contentant de ce qu’elle a, se voit proposer par un oncle la possibilité de vivre intensément, tous frais payés, à travers un voyage autour du globe. On les retrouve donc sur une croisière, où l’attrait pour une pseudo princesse et pour le capitaine de navire, va leur faire tourner respectivement la tête et les éloigner l’un de l’autre. Si le mari, totalement crédule, commet l’irréparable avec la fausse princesse qui lui volera son argent, la femme lui reste physiquement et moralement fidèle, refusant de partir avec le capitaine de croisière qui le lui propose. Le couple désargenté emprunte alors un navire de fortune pour retourner à Londres, navire qui fera naufrage. L’approche imminente et certaine de la mort reconsolide comme jamais le couple. Il se retrouve sur une embarcation de pilleurs chinois, puis à Londres où si le mari cette fois projette l’agrandissement du foyer familial, la femme elle ne se contente plus de leur maison et rêve plus grand : l’aventure a clairement inversé leur état d’esprit initial.
Ce film inclassable est rempli d’humour, telle la scène initiale du métro bondé, ou le baiser à la princesse empêché par le voile qu’elle porte sur son nez. L’actrice de la vieille fille ringarde, Elsie Randolph, pour qui le réalisateur avait une réelle affection dans le privé, contribue au ton décalé du film, malgré une interprétation plutôt caricaturale. A l’inverse, le film a une profondeur étonnante, qui culmine dans la scène dramatique où le couple attend la mort, enfermé dans la cabine du navire faisant naufrage. A noter que l’actrice principale, Joan Barry, totalement « photogénique » et dont le jeu de la femme résiliente est une réussite, contribue parfaitement à l’empathie que le spectateur éprouve pour sa situation. Hitchcock également se fait quelque part poète, il use de métaphores visuelles intéressantes, tel le passage au-dessus de chaînes par la jeune femme pour accéder au pont où elle embrassera le capitaine, et un passage au-dessus des mêmes chaînes dans le sens inverse pour revenir vers son mari, les chaînes symbolisant le lien marital contractuel.
Il ne faut pas regarder A l’est de Shangaï pour y retrouver ce que le public connaît et attend des films d’Alfred Hitchcock. Sa réception sera lors de sa sortie particulièrement mitigée, tant par la critique que le public, sans doute déroutés par une trame si éloignée de ce que le réalisateur avait commencé à les habituer. Pourtant, à l’inverse des films précédents, on sent que les moyens y sont plus importants, et surtout qu’Alfred Hitchcock y a mis beaucoup de lui-même. Pour cela, ce film mérite d’être visionné à titre de curiosité.