Le film de la renaissance pour Disney qui, après plusieurs années de vaches maigres et l’avènement de Pixar, se rappelle, enfin, à notre bon souvenir en s’emparant, à nouveau, des recettes qui ont fait son succès pour les mettre au goût du jour. "La Princesse et la grenouille" marque, d’ailleurs, un intéressement, renversement de situation puisque Disney a retrouvé une vigueur qu’on croyait perdu (avec les sorties de "Raiponce", "La reine des Neiges" et autres "Zootopie") alors que Pixar a amorcé sa lente dégringolade artistique (avec une succession de film moyens, voire mauvais… à l’exception du chef d’œuvre" Vice-Versa"). Et ce n’est pas un hasard car force est d’admettre que ce film est un petit bijou qui sort des sentiers battus. On a beaucoup parlé du fait que Tiana était la première princesse noire de l’univers Disney… mais limiter le personnage (et plus généralement) à ce seul constat "chromatique" serait réducteur et injuste. Car Tiana est, avant tout, un personnage fort qui se bat pour réaliser son rêve (et celui de son père) et entend être seule maître de son destin… soit un portrait assez éloigné des princesses "maison" ! Idem pour le Prince Naveen, qui n’a rien du bellâtre un peu creux auxquels on a habitué jadis mais qui rayonne par inconséquence tellement drôle. Les seconds rôles s’avèrent tout aussi épatants, de l’alligator Louis fan de jazz à la luciole Ray et son accent du bayou, en passant par la sorcière vaudou Mama Odie, l’affable Big Daddy ou l’hilarante Charlotte qui parvient à rendre invraisemblablement attachante le rôle de la fifille à son papa pourrie gâtée. Quant aux méchants de l’histoire, ils s’avèrent étonnement riches dans leurs motivations puisque le majordome Lawrence est, avant tout, poussé par
la frustration des humiliations subies par son patron (soit un intéressant renversement de situation puisque le Blanc est dominé par le Noir, dans une histoire se déroulant dans la Nouvelle-Orléans du début du 20e siècle)
et l’épatant Dr Facilier s’avère aussi effrayant dans sa haine que pathétique dans sa dépendance aux esprits de l’Au-Delà. Tous ses personnages bénéficient, de surcroît, de formidables voix françaises, pas forcément très connues (à quelques exceptions près comme les habituels Jacques Frantz et Richard Darbois) ou pas forcément très reconnaissables (comme Anthony Kavanagh et Liane Foly) mais diablement talentueuses. L’histoire est, également, épatante de densité car, si le parcours initiatique en tant que tel n’est pas des plus innovant
(l’obstinée Tiana va se décoincer, le virevoltant Naveen va se responsabiliser)
, les thèmes abordés sont étonnements forts sans pour autant être caricaturaux ou moralisateur. Les liens unissant Tiana et Charlotte résume assez bien cet équilibre puisque leur amitié sincère est traitée sans que ne se pose jamais la question de la couleur de la peau mais sans, pour autant, éluder la question de la différence de classe sociale
(voir le superbe plan où le tramway ramène Tiana et sa mère de la villa des Leboeuf à leur maison bien plus modeste)
. Difficile, dès lors, de formuler une accusation sérieuse de racisme à l’encontre du film (ce qui n’a pourtant pas manqué aux Etats-Unis, ce que je ne m’explique toujours pas !). Ne nous y trompons pas, pour autant, le film ne se veut pas sérieux sur la question et, surtout, et terriblement drôle, grâce à ses gags simples et efficaces mais, également, grâce à ses dialogues très bien écrits
(le running gag du mucus, le coup de colère de Ray contre Naveen, les interruptions de Charlotte dans le récit de son père...)
. "La Princesse et la grenouille" marque, également, le retour à un ton plus sombre par moment qui laisse entendre que Disney semble, à nouveau, considérer son jeune public comme susceptible de supporter des séquences un peu plus impressionnantes. Les rites vaudou et les attaques des esprits
(dont la mort du Dr Facilier)
sont, ainsi, superbes et s’inscrivent parfaitement dans l’ambiance de la Nouvelle-Orléans, qui se voit magnifiée (au point de donner des idées de voyage). Disney se permet même de se montrer incroyablement poétique à travers
l’amour de Ray pour sa belle et inaccessible Evangeline (c’est-à-dire une étoile), dont l’issue devrait tirer une petite larmichette au public
. Enfin, et ce n’est pas rien, "La Princesse et la grenouille" marque le retour des chansons qui avaient disparus depuis un petit moment et qui font ici, un come-back retentissant tant elles s’avèrent toutes plus que réussies les unes que les autres ("La Nouvelle-Orléans", "Humains pour la vie", "Creuser encore et encore" ou encore le ténébreux "Mes amis de l’Au-Delà"…). L’ambiance jazzy du film vient parachever la réussite de l’entreprise et impose, à nouveau, Disney, comme un grand de l’animation, ce qu’il n’était plus depuis des années (si on excepte les productions Pixar bien sûr). Un formidable dessin animé, donc, encore trop injustement méconnu et que j'ai, pourtant, trouvé supérieur à "Raiponce" ou à "La reine des Neiges" !