Copie conforme. Sous ce titre énigmatique qui prétend à une dissertation sur l’art, la copie et l’original, ce sont l’absence et l’errance, la réalité et l’illusion qui constituent l’essence et l’infinie richesse du nouveau film de Abbas Kiarostami, un florilège de thèmes coutumiers à l’œuvre du cinéaste.
Sous la grâce lumineuse d’un petit village de Toscane, Kiarostami contemple l’errance d’un couple qui ne se connaît plus, ou qui ne se reconnaît plus. Pourtant, depuis les quinze ans de mariage qui les unis, rien n’a changé. La différence c’est qu’elle se rappelle de tout, et lui ne se rappelle de rien.
Son scénario, fort de son revirement, des contradictions qu’il engendre et des interrogations qu’il suscite, est enveloppé d’un doux et profond mystère qui le rend impénétrable. S’agit-il d’un coup de foudre ? de deux amoureux qui ont joué aux parfaits inconnus pour se séduire à nouveau ? se sont ils inventé ces quinze ans de vie matrimoniale et de bonheur illusionné ? A la manière de la vie et des hommes, « Copie conforme » questionne, mais ne donne pas toujours les réponses, ou du moins celles que l’on attendait.
Voilà leur destin, se parler, se parler comme si c’était la première fois. Bavard, « Copie conforme » est pourtant une allégorie du mutisme puisqu’il incarne la non-communicabilité même. Ce sont les paroles qui ont usé ce couple et les paroles qui abusent et désorientent le spectateur, interdit face au tour de passe-passe scénaristique concocté par Kiarostami, en surprenant prestidigitateur.
Dans une mise en scène délicate, Kiarostami évince toute psychologie et laisse parler la grâce des corps et des visages. L’enivrante sensualité de Juliette Binoche, la discrétion flegmatique de William Shimell…tout ce qui passe sous la caméra du cinéaste semble touché par la grâce. Un café qui refroidit pendant qu’un couple se consume. Une femme qui met du rouge à lèvres et des boucles d’oreille pour plaire à son mari… La même femme qui, peu rancunière, tend à son odieux mari un morceau de pain alors que celui vient de quitter la table sans rien avaler. Chaque scène de cet écrin contemplatif est un instant de simplicité dans sa forme la plus pure. C’est aussi un instant d’authentique poésie.
Tourné loin de la terre natale du cinéaste, « Copie conforme » est un film universel. Anglais, italien, français, lors de son voyage jusqu’en Toscane, Kiarostami semble avoir recueilli les langues et les cultures, comme certains prélèvent les échantillons de sables sur les plages de leurs voyages. Variation sur le bonheur, les existences qu’il étouffe et les illusions qui s’y perdent, « Copie conforme » est une œuvre que l’on savoure paisiblement dans le quasi-temps réel d’une balade dominicale. Une œuvre qui nous enivre et nous suit longtemps après, que l’on n’ose aimer qu’avec pudeur, de crainte qu’une passion ardente ne s’évapore trop vite. « Copie conforme », comme le bon vin de Toscane (moins bon que celui des français mais assurément meilleur que celui des anglais) se laisse vieillir…