Formulé sous un angle poétique et raffiné, le thème de la désagrégation du couple si cher à un certain cinéma d’auteur, porté au firmament par Michelangelo Antonioni ou Ingmar Bergman, s’offre ici de subtiles et savantes variations novatrices. Abbas Kiarostami, en esthète délicat et à l’aide d’acteurs vivifiants (hormis le petit, qui chie dans la colle, il faut le dire), emboîte un propos réflexif passionnant, comme une variation duchampienne sur l’amour - la notion de subjectivité du spectateur face à l’oeuvre d’art mettant ici en mouvement le processus psychologique interne au couple -, dans un registre volontiers baroque. Jeu intellectuel aux tiroirs multiples accompagné d’une sensation de doux vertige, brouillant constamment les frontières du faux et vrai, côtoyant parfois la farce pure - comme dans cette scène au restaurant, merveilleuse de drôlerie décalée -, le film ne manque ni d’envoûter, ni de surprendre. On pourra certes regretter que la puissance et l’originalité du style kiarostamien, ainsi que la maîtrise de la composition graphique, au goût de poème philosophique, se fassent un chouïa plus discrètes qu’à l’accoutumée. In fine, Copie Conforme pose bien sûr les problèmes de solitude et d’incommunicabilité, mais il serait bien dommage de ne voir dans ce tableau lucide et paradoxalement brutal, sous ses airs doux de fausse rencontre, de rassurante comédie vouée au tragique, qu’un pessimisme tranchant. Car si désillusion il y a, elle permet surtout de penser, à fortiori nos propres vies amoureuses, et de viser une amélioration de celles-ci (haut les coeurs !). Un beau cadeau, donc, au-delà du rire éclatant de Juliette Binoche. Avertissement toutefois : un bagage théorique en philosophie de l’art aide à rencontrer l’oeuvre, exigeante sur le plan intellectuel. Les plus curieux se délecteront, de toute façon, de ce film si différent des autres !