Avertissement aux spectateurs : il est bien épineux d'émettre un jugement prompt sur Copie Conforme, le dernier film d'Abbas Kiarostami, primé pour l'interprétation de Juliette Binoche à Cannes au mois de mai dernier. Cette "oeuvre sur les oeuvres" du cinéaste iranien se voit en effet plombée par un première mauvaise impression, celle d'un film très beau mais bavard, intello et prétentieux qui ne mènerai qu'à un discours philosophique filmé, celui de l'écrivain James Miller - un parent de Gérard Miller, probablement - débattant à bâton rompue avec une lectrice de la puissance des faux, des copies, sur les originaux - discours plus ou moins passionnant, mais en tout cas nullement mis en valeur par la lenteur de cette première partie. L'aisance avec laquelle les deux inconnus débattent du sujet, tout naturellement et sans plus de présentations, en s'offrant une virée en voiture, la colère du personnage féminin (sans nom) dans la défense de ses arguments, tout cela semble peu crédible et ne facilite pas l'immersion : on suit le film à reculons, presque énervé par ces deux philosophes pédants. Puis, vient le "twist"... non pas final, mais médian, qui vient enfin nous rassurer quant à l'intérêt du film (et nous réveiller, au passage). En effet, au beau milieu de cette intrigue peu palpitante, les bizarreries du jeu des acteurs et l'incohérence du rapport qu'entretiennent leurs personnages prennent sens, quand nos deux protagonistes déclarent être mariés depuis 15 ans ! Faut-il croire que ce vieux couple s'est amusé à jouer les inconnus flirtant autour d'un écrit ? Ou bien que ces deux inconnus, portés par le sujet du livre, s'amusent à copier un vieux couple ? Des détails abondent dans les deux sens et peuvent défendre les deux théories. La "copie" devient aussi convaincante que la réalité, mais surtout, elle est plus belle et plus touchante. Copie conforme finit donc par convaincre et passionner, malgré sa lenteur et son apparent sérieux. Il provoque des réflexions et éveille des sentiments rares au cinéma, pièce unique d'un cinéma moderne exigeant. Sa beauté si particulière, qui se révèle progressivement à notre esprit de spectateur, après une bonne maturation, ne trouvera de similarités et d'influences que dans le néoréalisme, chez Rossellini et Antonioni, cinéastes dont Kiarostami hérite en plus des paysages italiens.