Après un documentaire tourné en 2001 et intitulé ABC Africa et un segment du film Tickets qu'il a coréalisé avec Ken Loach et Ermanno Olmi (autour d'un train en Italie), Abbas Kiarostami nous présente désormais son premier long-métrage de fiction tourné hors de son Iran natal.
Le sujet du film est le rapport entre l'original et la copie; thème auquel l'écrivain quinquagénaire James Miller consacre un essai et dont les exemplaires se vendent comme des petits pains grâce à un sous-titre alléchant et provocateur: "Une bonne copie vaut mieux que l'original". Copie conforme commence ainsi par une conférence de presse où James Miller parle de son livre; dans la salle on trouve une jeune femme galeriste d'origine française qui s'assied au premier rang, à côté du traducteur du livre de Miller (qui l'a traduit de l'anglais en italien), et qui paraît visiblement intéressée. Près d'elle, son jeune fils, se tortillant nerveusement sur sa chaise en s'occupant de sa console de jeux, manifeste des signes d'impatience: apparemment il a faim et cette conférence de presse sur un essai parlant du rapport entre l'original et la copie en art l'ennuie mortellement. En fait, Miller le révèle au cours de la conférence, le rapport entre l'original et la copie n'est pas exclusivement valable dans le domaine artistique. Selon lui, il est aussi applicable pour les êtres humains, selon le processus de la reproduction: "nous serions ainsi les éternelles répliques de nos ancêtres".
Après cette amorce de réflexion, Copie conforme se concentre sur le couple James Miller/galeriste française. Celle-ci lui demande de dédicacer plusieurs livres (dont un pour sa soeur Marie); ils se rendent tous deux en voiture à San Gimignano, petit village près de Florence, aller visiter un tableau qu'on présente comme "la Joconde toscane". Le cadre temporel est posé quand Miller annonce qu'il a un train le soir même, à vingt et une heure.
Ce nouveau film d'Abbas Kiarostami, lauréat de la Palme d'Or en 1997 pour Le Goût de la Cerise, paraît jouer avec les clichés pour mieux les tordre. La femme française est vivante, pétulante et pleine d'entrain; l'homme anglais est sobre, discret et sec. Cliché nationaliste et sexiste à la fois: les Anglais seraient aussi communicatifs que des portes de prison et les Françaises seraient pleines de vie et d'enthousiasme. Les Hommes viendraient de Mars et les Femmes de Vénus... Ou pas? À la réflexion sur la copie et l'original (la Joconde toscane; l'anecdote de Laurent de Médicis ayant demandé à Michel Ange de s'inspirer de l'Antiquité pour augmenter le prix de la sculpture de ce dernier...) s'ajoute le thème du couple. Là encore, il y a ambiguïté: au début c'est un écrivain et sa lectrice; après c'est un homme et une femme mariés depuis quinze ans, et parents d'un fils - on peut supposer que c'est le même fils que celui qu'on a vu au début. La femme réclame de l'amour, de l'attention; mais tous ses efforts pour être remarquée et considérée par son mari s'avèrent vains: le soutien-gorge qu'elle enlève dans l'église, le rouge à lèvres ostentatoire qu'elle met sur ses lèvres (comme on le voit dans la bande-annonce de une minute du film), ainsi que ses boucles d'oreilles élégantes qu'elle revêt passant totalement inaperçus. En même temps, et de façon très symbolique, les deux personnages voient constamment des jeunes mariés passant devant leur nez. La femme réagit de façon enthousiaste à leur vue; l'homme de façon aigre. A la fin les deux personnages retournent dans l'hôtel où ils ont passé leur nuit de noce, il y a de cela quinze ans. La femme se couche sur le lit, tâte le drap, embrasse toute la chambre d'un regard tendre et nostalgique; apparemment elle se rappelle de tout: la position dans laquelle chacun des deux était couché à l'époque, ce qu'ils avaient dit, ce qu'ils avaient fait, à quel moment...
Dernier plan pour ce film énigmatique: un plan d'église italienne vue à travers une fenêtre ouverte, aux persiennes et aux volets ouverts. L'ouverture apparaît décidément comme un mot clé de ce film où le spectateur est susceptible de voir ce qu'il veut; pour un film ouvert aux interprétations diverses; où il faut chercher midi à quatorze heures, ou bien alors non. Stéphane Delorme des Cahiers du Cinéma y voit une "copie conforme" des comédies sentimentales américaines typiques; Juliette Binoche déclare, dans une interview sur RTL, qu'il faut aller voir le film "pour se marrer"...
Il est très amusant de constater les divergences des avis de la critique et du public, par exemple sur le cite "Allociné". Les premiers s'extasient sur ce film de Kiarostami qui serait du Kiarostami pur jus, et en même temps une variation subtile à partir du Voyage en Italie de Rossellini, et une rupture lynchienne du plus haut goût au milieu. Les spectateurs lambda, au contraire, sont nombreux à critiquer ce qui leur apparaît plus comme un somnifère que comme un film (beaucoup dorment pendant la projection). C'est vrai que si on ne connaît ni Kiarostami, ni Lynch, ni Rossellini, la dimension subtile de ces allusions pourrait bien nous échapper.
Il est vrai que la matière excessivement cérébrale du film (réflexion sur l'art et la copie...) et les babillages intellectuels des personnages ont de quoi larger la moitié des spectateurs... Après, il y a tout de même des choses qui peuvent être appréciés par tout un chacun: les paysages ensoleillés de la Toscane parcourus de cyprès; la composition harmonieuse des cadres; la présence lumineuse d'une Juliette Binoche qui n'a pas volé son prix d'interprétation ou d'un William Shimell, baryton à l'opéra dont il s'agit là du premier rôle, et qui s'impose comme une vraie révélation...