Je n'avais vu aucun film de Guy Maddin avant "Des trous dans la tête", et je ne pourrais donc pas le comparer avec ses réalisations précédentes. Les lecteurs qui connaissent déjà l'oeuvre de ce réalisateur atypique trouveront peut-être que j'enfonce des portes ouvertes, mais pour moi, ça a été un choc. Un choc positif, car le cinéma doit permettre la diversité, et entre "Parlez-moi de la pluie", "Entre les murs" et "Des trous dans la tête" (en attendant demain "Faubourg 36"), j'ai été servi point de vue variété.
Pour caractériser le style de ce film, je paraphraserai Guillaume de Baskerville répondant à Adso de Melk qui lui demandait quelle langue parlait Salvatore : "Aucune, et toutes à la fois". "Des trous dans la tête" ne s'apparente à rien de semblable, et en même temps on peut y repérer des influences multiples : Griffith, et particulièrement "Intolérance", pour l'emphatisme des intertitres et l'utilisation homéopathique de la couleur, l'expressionnisme allemand pour la façon d'étirer les ombres dans un noir et blanc contrasté au gros grain, Bergman et notamment "Le Septième sceau" et "La Honte" pour la façon de filmer la nature et le bord de mer, Luis Bunuel et "Un chien andalou" pour l'approche surréaliste, et "Frankenstein", et "Nosferatu", et "La Cité des Enfants Perdus"...
Guy Maddin filme comme dans les années 20, avec une image qui tressaute, du vignettage sur les bord, des ouvertures à l'iris, des effets Mélies et une pellicule dégradée. Mais à bien regarder cet exercice de style, on s'aperçoit qu'il s'autorise de nombreux anachronismes techniques : caméra portée, bruitages, et une narratrice (Isabella Rossellini) qui complète les intertitres.
La mise en scène baroque se met au service d'une intrigue très librement inspirée de l'enfance de Guy Maddin : "Le coeur de mon enfance, son essence mystique, impétueuse et fougueuse, a été marquée par une lutte sans merci qui opposait ma mère à ma grande soeur, une adolescente fraîchement épanouie. (..) Qu'elles se disputent au sujet d'une coiffure ou d'un ourlet, c'était en réalité la présence au sein de la maison d'une jeune adulte, avec ses désirs personnels, qui était à l'origine de l'opposition virulente de ces deux femelles."
Très librement inspirée, espérons-le : car dans cet orphelinat niché dans un phare (tout un symbole) règne une mère castratrice et incestueuse, avec un père savant fou qui traite sa progéniture en cobayes, une fille qui va pousser le conflit avec ses parents jusqu'au bout, et des orphelins terrorisés par Savage Tom ; avec pêle-mêle, un bain de térébenthine pour laver ses fautes, un elixir de jouvence, une toilette funéraire paternelle bondage, du vampirisme, une tache de vin héréditaire représentant la Roumaine, et un Guy jaloux (Jalous Guy, nous dit le panneau).
Découpé en douze chapitres (et un interlude), le récit avance en dessinant des boucles, avec des répétitions et des ritournelles, le tout rythmée par la musique de Jason Staczek, créée en improvisation lors du tournage. Dérivant en permanence entre les écueils du too much et du n'importe quoi, "Des trous dans la tête" réussit à les éviter grâce à la cohérence de la narration et des techniques utilisées, et s'impose comme une expérience sensorielle unique dans le cinéma d'aujourd'hui.
http://www.critiquesclunysiennes.com