Après les deux premiers opus, la franchise Batman (car c'est bien de ça qu'il s'agit avant tout) se devait de perpétuer une certaine tradition qualitative. En un mot : il fallait un réalisateur à la hauteur des ambitions d'un Tim Burton qui, avec ses deux films baroques, avait placé la barre très haut ! La Warner allait-elle trouver cet homme en la personne de Joel Schumacher ? Au vu de ce "Batman Forever", on peut en douter, comme les fans surpris de voir pousser des tétons sur le costume des héros ! "Batman Forever" marque la rupture entre le film d'auteur et le blockbuster dans toute sa splendeur au profit d'un produit certes plaisant mais destiné avant tout à vendre des produits estampillés Batman. Mais qui dit autre réalisateur dit autre style. C'est ainsi qu'avec un malin plaisir, Joel Schumacher prend le contre-pied de son illustre prédécesseur en offrant un Batman coloré, d'inspiration pop, adoptant ainsi un ton général plus décontracté que les deux films précédents. Si le réalisateur de "Edward aux mains d'argent" plongeait le Chevalier Noir dans une pénombre constante, Schumacher décide d'entourer son héros d'une multitude de couleurs criardes qui feraient passer Gotham City pour une discothèque. Passé la première séquence, tout devient limpide : "Batman Forever" sera une BD live ou ne sera pas. Les personnages, les situations, les décors… Tout est caractérisé à l'extrême pour permettre au spectateur de rentrer dans cet univers si particulier. On passera sur le scénario d'une rare bêtise. Deux super méchants s'allient, l'un pour détruire Batman, l'autre pour devenir l'homme le plus intelligent de Gotham grâce à une invention qui, greffée sur les téléviseurs, décervelle toute personne la regardant, prouvant si besoin est que Schumacher ne fait pas dans la finesse. Plus intéressante est la charte visuelle, véritable marque de fabrique du film. Peut-être vaguement inspiré du "Fantôme de l'Opéra", "Batman Forever" se distingue par ses décors monumentaux qui, s'ils n'égalent pas les somptueux monuments expressionnistes des films de Burton, confèrent à ce film "Batman" une véritable richesse plastique. "Batman" ne serait pas "Batman" sans des personnages suffisamment forts pour incarner les mythes qu'ils convoquent. Ainsi Val Kilmer endosse le double costume de Bruce Wayne/Batman en lieu et place du ténébreux Michael Keaton, confirmant ainsi la volonté de la production de toucher un large public avec un héros plus jeune. Si sur le papier le choix pouvait paraître intéressant, il n'en est pas de même à l'image. En effet, l'ancien rival de Tom Cruise dans "Top Gun" semble plus à l'aise dans le rôle du milliardaire play-boy que dans celui de l'homme chauve-souris. En un mot Val Kilmer est un Bruce Wayne crédible mais un Batman un peu fade en dépit d'une volonté évidente de coller au plus près au personnage torturé. De son côté, le Robin composé par Chris O'Donnell est exploité de façon trop évidente pour faire craquer les midinettes tandis que malgré ses efforts, la belle Nicole Kidman ne parvient pas à faire oublier Kim Basinger et Michelle Pfeiffer. Elle offre cependant un bon contrepoint au personnage de Bruce Wayne, qui reste attachant malgré tout. Enfin, impossible de parler d'un film "Batman" sans s'attarder un minimum sur ses méchants emblématiques. "Batman Forever" ne déroge pas à la règle et offre deux bad guys en totale adéquation avec l'esprit déjanté voulu par Schumacher. Ainsi l'Homme Mystère ne pouvait trouver meilleure incarnation en Jim Carrey faisant ici ce qu'on attendait de lui depuis les succès de "The Mask" et "Ace Ventura", à savoir grimacer à chaque plan sans oublier d'en faire des tonnes comme l'excentricité de son personnage l'exige. Tommy Lee Jones lui se lâche complètement dans le rôle de Double Face offrant un numéro de cabotinage comme on en a rarement vu au cinéma. Si les deux personnages peuvent lasser par leurs grimaces incessantes, force est de reconnaître qu'une fois réunis, les deux acteurs dégagent une formidable énergie prompte à faire sortir le spectateur de sa léthargie et forment le véritable duo dynamique et comique du film. Pourvu d'intentions louables (insuffler du sang neuf au mythe du Chevalier Noir) et d‘un casting composé d'acteurs en pleine ascension (Nicole Kidman, Jim Carrey et Drew Barrymore, ici sous-exploitée, n'étant pas encore à l'époque les immenses stars qu'elles sont devenues), "Batman Forever" ne réussit qu'à moitié son pari. Il cède trop facilement au formatage du blockbuster grand public, et ce malgré des scènes d'où débordent une certaine folie et une tentative intéressante d'exploration de la psychologie de Bruce Wayne via sa relation avec Dick Grayson/Robin. Le réalisateur Joel Schumacher prend le risque de n'exploiter que la superficialité de ses personnages (l'héroïsme de Batman, la beauté trop parfaite de Nicole Kidman, la mégalomanie de l'Homme Mystère et de Double Face). Il en résulte un bon film de pur divertissement certes efficace mais principalement destiné aux adolescents. "Batman Forever" annonce le début de la fin, confirmé par sa suite de piètre qualité, "Batman et Robin"