Batman Forever orchestre les retrouvailles du comic book et du cartoon telles que les avait conçues la série télévisée diffusée sur ABC entre 1966 et 1968 : une esthétique de la vignette, très colorée et inventive dans ses cadres, ses mouvements d’appareils et ses transitions, un humour volontiers lourd, un goût pour la surenchère et l’invraisemblance. Il fallait sans nul doute l’excentricité de Joel Schumacher pour réaliser ce pas de côté, après les chefs-d’œuvre gothiques de Tim Burton ; le cinéaste creuse un sillon ouvert par ce dernier, sonde ses gouffres jusqu’à s’y perdre – du point de vue du scénario ou de l’image, c’est « une ruée vers l’orgasme », dixit l’homme mystère… – tout en cassant l’imagerie viriliste volontiers attribuée à l’homme chauve-souris : gros plans sur différentes parties d’un corps sculpté que moule une combinaison érotisée pour l’occasion, avec ce zoom ahurissant sur les fesses de Val Kilmer ou sur celui de Chris O’Donnell en pleine ascension du chapiteau, visage à moitié peint en violet pour Tommy Lee Jones qui cabotine plus encore ici que lorsqu’il était déguisé en pirate (Nate and Hayes de Ferdinand Fairfax, 1983), souplesse féline d’un Jim Carrey une fois encore incontrôlable. La mise en scène, hélas charcutière dans le montage des séquences d’action, retranscrit très bien la démesure de Gotham City, ici perçu comme une vaste fête foraine, comme un spectacle à ciel ouvert. Notons une descente dans les bas-fonds digne d’intérêt en ce qu’elle raccorde le long métrage à cette contre-culture de l’underground que connaît Schumacher, et qu’il exploite au sein d’un blockbuster destiné au marché américain et international !
Audacieux à plus d’un titre, porté par la partition musicale entraînante d’Elliot Goldenthal, Batman Forever souffre aujourd’hui d’une mauvaise réputation due en partie à la mauvaise réputation de son réalisateur. Il convient, au vu des qualités précédemment évoquées, de les réhabiliter tous deux.