Die Hard a besoin de deux choses pour triompher : le héros John McClane et le réalisateur John McTiernan.
Oui, le metteur en scène culte (Piège de Cristal donc, mais aussi Predator, Last Action Hero ou À la poursuite d'Octobre Rouge) est au moins aussi nécessaire que Bruce Willis dans la réussite de la saga d'action. Une chose qui est devenue limpide quand il fut remplacé par Renny Harlin pour le deuxième épisode, 58 Minutes pour Vivre. Aussi efficace soit-elle, cette suite ne tentait jamais de renouveler la recette et manquait surtout de virtuosité dans son exécution. Un sens du cadre admirable, une parfaite compréhension de l'environnement et de son importance dans l'intrigue font de McTiernan un démiurge que peu égalent. Cela s'explique simplement par le fait que le cinéaste ne cherche pas à faire de l'action, il raconte une histoire avec de l'action, ce qui est différent. L'action est au service du récit, et pas l'inverse (erreur qu'on retrouve trop souvent dans ce genre).
Revoilà donc les deux John partis pour Une Journée en Enfer, vraie suite spirituelle de Piège de Cristal. Cache-cache dans le premier, Jacques à dit dans celui-ci ; le jeu prime. L'espace est l'autre dénominateur commun entre les deux films. Que les terroristes prennent d'assaut un immeuble ou une ville entière, la logique reste la même : le lieu définit l'approche.
Sauf que McTiernan n'est pas de ceux qui se mettent en pilote automatique. Aussi, le réalisateur choisit consciemment de fracasser les codes instaurés dans le premier volet.
Le rythme opératique est mis de côté, place à un style brut, quasi-documentaire, alternant envolées paroxystiques et ruptures. Exit l'ambiance froide et claustro, le cadre s'ouvre mais l'oppression est bouillonnante. L'espace demeure la clef de Die Hard, pourrait-on dire. L'influence de ce volet est à chercher auprès du William Friedkin de Police Fédérale Los Angeles, sèche et naturaliste. McTiernan ne cherche pas l'hyperréalisme d'un Michael Mann, plutôt un concept de "réalité arrangée" dans laquelle son héros fait office d'électron libre. Une mise en scène principalement composée de caméra à l'épaule ne signifie pas un objectif qui tremble sans arrêt pour en rendu confus et nauséeux, mais une immersion palpable et lisible au cœur de l'action. En ce sens, ce troisième volet arrive à un niveau de pureté inédit. L'injustice n'étant pas une denrée rare en ce bas monde, mais le temps a su accorder au réalisateur sa place au panthéon des plus grands.
Piège de Cristal l'imposait, Une Journée en Enfer enfonce le clou : John McClane n'est à sa place que quand il déborde du cadre. Les rôles peuvent être inversés - le terroriste impose cette fois-ci le jeu à McClane - le super-flic persiste à casser les règles : son périple le mettra toujours en parallèle d'autorités dépassées, et face à des adversaires dont il retournera le système de valeurs contre eux.
Sauf qu'il n'est pas seul, et c'est là une grosse surprise d' Une Journée en Enfer. Sommé de cavaler d'une zone à une autre sous peine de voir des bombes exploser un peu partout dans New York, McClane fait équipe avec un commerçant nommé Zeus. Loin de faire de la figuration, ce dernier impose un caractère bien trempé, qui n'entend pas laisser le policier (ou quiconque d'ailleurs) lui dicter ce qu'il a à faire. En résulte un duo mal-assorti de premier ordre, peu avare en dialogues cultes. Les deux comédiens prennent un plaisir évident à jouer ensemble, à se surpasser mutuellement. L'alchimie entre Bruce Willis et Samuel L. Jackson est d'une puissance telle que la paire n'a rien à envier à l'inoubliable doublette Riggs/Murtaugh de L'Arme Fatale (sans rire).
Meilleur est le méchant, meilleur est le film dit l'adage. Et il s'applique parfaitement à ce numéro 3. Jeremy Irons compose un antagoniste réjouissant de vilénie, jouant à merveille de l'ironie et du charme. Il est presque aussi merveilleux que l'était Alan Rickman dans le premier. Petite mention d'une poignée de seconds-rôles bien affutés, notamment Graham Greene ou Larry Bryggman. De retour à la baguette, Mickael Kamen propose d'excellents arrangements aux thèmes cultes, plus une poignée de nouveaux thèmes, parmi lesquels une sublime réinterprétation de Johnny Comes Marching Home(déjà entendu dans Docteur Folamour).
Le script peut présenter quelques invraisemblances, mais la maestria qui préside à l'ensemble les rachète sans problème. Les scènes anthologiques sont nombreuses : la course en Taxi, l'ascenseur, les gallons d'eau, la partie sur le bateau. À l'inverse de beaucoup de ses confrères, McTiernan ne laisse jamais la forme déborder sur le récit. En plus de redonner un souffle épique démesuré à Die Hard, Une Journée en Enfer assoit définitivement McTiernan comme un auteur à part entière. Oui, un auteur qui a réinventé l'action à deux reprises, le temps de deux volets d'une même saga. Deux volets d'un même niveau, et dont l'influence continue d'avoir prise plusieurs décennies après leur sortie. Ce qu'on appelle des chefs-d'œuvre. Il y a eu un avant et un après, indéniablement. Mais le problème, c'est que ce soit avant ou après, on peine à leur trouver un égal.