Dès les premières minutes, l'image, terne et décolorée, sans relief, pas "jolie", donne le "la". Le cadre est serré, mais pas trop. Peu de gros-plans, peu de plans larges. Ce cadre "batard" place le spectateur et les comédiens dans une position inconfortable et trace les limites d'un enfermement. L'un contre l'autre est un film sur l'enfermement. Celui d'Anne, institutrice, oppressée par un père qui se veut omnipotent et sait lui faire sentir que sans lui (et son argent), elle et son mari ne seraient rien. Privée du recul nécessaire à toute libération, obsédée par les diktats parternels de réussite (qu'elle reporte sur ses enfants), elle n'a aucun espace de révolte à sa disposition. Aussi est-ce Georg, son mari, flic consciencieux et altruiste, qui devient à la fois cause de tous les maux et défouloir. Lui, se veut indispensable et aimant, compréhensif et fort. Mû par la volonté de protéger et taire la névrose de sa femme, il va peu à peu accepter qu'elle le frappe. Les crises d'Anne rythment le film. Avec une justesse sidérante, Jan Bonny capte au plus près les noeuds du lien trouble qui unit ce couple au bord de la crise de nerf. Il réussit la prouesse de nous faire partager, avec une intensité rarement vue, ces instants presque anodins où l'apparence du bonheur éclate en morceaux au détour d'une phrase, d'un mot, d'une expression devenue insupportable. La solitude et la détresse de ces deux êtres, qui n'acceptent plus l'image que l'un renvoit de l'autre, et réciproquement, qui s'en veulent pour cela tout en s'aimant désespérément, est filmée et interprétée avec une telle profondeur qu'elle devient nôtre. Il est rare de ressentir à ce point, et physiquement, les névroses de personnages de fiction. Pour son premier film, Jan Bonny réussit la prouesse de traiter avec subtilité un sujet tabou, en imposant l'évidence d'un parti-pris réaliste jamais racoleur, qui montre sans démontrer, sans discourir, sans juger. Une oeuvre déchirée et déchirante. Une réussite.