A ceux qui n’ont pas vu le film, je leur conseille de ne pas s’intéresser à ce qui suit pour ne pas se voir révéler toute l’intrigue. «The Usual Suspects» (USA, 1995) de Bryan Singer correspond, à tort, aujourd’hui au summum du film de suspense. Et pour cause, pendant une heure et demi, Singer construit le portrait d’un criminel qui, in fine, se révèle être le témoin principal. Pour réussir à rendre captivant son récit, Singer procède à un leurre narratif qui dirige le spectateur vers une direction, finalement entièrement fallacieuse. Cette tromperie narrative, qui renvoie tout l’intérêt du récit au seul twist final, nécessite de la part du cinéaste de réussir à diriger sans faille l’attention du spectateur. Difficile, sur ce point et dans le cinéma américain, de rivaliser avec Hitchcock ou Preminger. Or ce n’est rien d’autre que l’ambition de Singer : accéder à la maestria cinématographique de ces grands auteurs. Sa faille provient du scénario auquel il octroie bien plus de valeur qu’à sa réalisation. Hormis les effets ampoulés de mise en scène qui accompagnent l’histoire, l’œuvre pourrait tout à fait n’être qu’un roman de la série noire, captivant mais pauvre artistiquement. L’échec du film ne provient pas que de l’hégémonie, anti-cinématographique, du scénario sur la réalisation. La révélation finale, où l’éclopé piteux se trouve être le grand méchant de l’histoire (venant de Turquie, remarquons le nationalisme fasciste au passage), se base sur un des principes les plus élémentaires du suspense, que même A. Christie n’utilise pas : l’individu, placé au-dessus de tous soupçons, est en fait le véritable criminel. Sans même être coutumier du genre policier, un spectateur est à même de deviner qui est le meurtrier fourbe, rendant dès lors le film nul, dénué de toute saveur. A se reposer sur le scénario et à rendre si faible l’ingéniosité de son intrigue, Singer fait un film policier d’une inventivité si pauvre qu’elle pourrait constituer le B.A.-ba du suspense cheap.