''L'ophelinat'' serait-il un Peter Pan vu à travers le regard de l'adulte qui a perdu son âme d'enfant ? Ce sera une des questions abordées dans cette critique. Premier film réalisé par l'espagnol Juan Antonio Bayona, ''L'orphelinat'' est aussi produit par le mexicain Guillermo Del Toro. Sortie en 2008, il reste l'un des plus grands succès espagnols de tous les temps. Il fut remarqué à Cannes (standing ovation absence de prix, ce qui certifie la qualité du film!), reçu 7 Goyas d'or et le Grand Prix du festival fantastique de Gerardmer. Compte tenu des films primés à ce festival, on peut légitimement s'attendre à un grand crû. Et c'est tout-à-fait le cas : ''L'orphelinat'' est un premier film totalement accompli.
Laura (Belen Rueda) a grandi dans un orphelinat. Adulte, elle retourne vivre avec son mari Carlos (Fernando Cayo) et son fils adopté Simon (Roger Princep) dans cet orphelinat, désormais abandonné. Sur place, Simon se fait plein de copains ''imaginaires'', dont Thomas, un garçon dont le visage est caché par un inquiétant masque. Un jour Simon disparaît. Dans cette maison en proie aux fantômes du passé, Laura va tout tenter pour retrouver son fils.
Comme ''Les Autres'' (Alejandro Amenàbar, 2001) auquel s'inspire Bayona et son scénariste Sergio G. Sanchez, ''L'orphelinat'' va jouer sur plusieurs terrains. En effet, le film n'est rien de moins qu'un film fantastico-épouvanto-dramatique (oui). Bayona et Sanchez doivent faire preuve de subtilité en jonglant habilement avec les trois genres cinématographiques qu'ils invoquent. Du fantastique, Bayona prend cette fameuse ambiguité qui nourrit ce genre de films : les phénomènes paranormaux, les fantômes... tout cela est-il le fruit de l'imagination (et de la folie) de Laura ou est-ce que tout cela est réel ? Bayona reprend ce doute (il le dit lui-même) du cinéma de Polansky et plus précisément de sa trilogie des appartements maléfiques : ''Répulsion'' (1965), ''Rosemary's Baby'' (1967) et ''Le Locataire'' (1976). Un personnage dans un endroit reclu va peu à peu basculer dans la folie en voyant (ou croyant voir?) des fantômes. Mais au fantastique, on préfère la manière qu'à Bayona à renouveler le film d'épouvante. A l'heure où tout est permis dans le cinéma d'horreur, Bayona choisit (grand bien lui a pris) de jouer la carte de la suggestion. Dans ''L'ophelinat'', pas de gore, pas d'effets spéciaux. Bayona décide de créer une peur intimiste sans pour autant que celle-ci soit invisible. Il y a en tout et pour tout un seul jump scare dans le film. C'est uniquement via l'atmosphère que la peur se manifeste. N'hésitant pas, à la manière d'un James Wan (période ''Insidious'') et au contraire d'un Jacques Tourneur (période ''La Féline'') à faire durer les plans plutôt que d'avoir recours directement au montage (on pense aux deux scènes d'1, 2, 3, soleil, filmés en plan séquence). Bien sûr, la peur naît aussi du fait qu'elle concerne le monde de l'enfance : voir (ou plutôt entendre) la scène où rien n'apparaît à l'écran, seul nous parvient les hurlements d'enfants. Mais le fantastique et l'épouvante, aussi réussis soient-ils sont là pour servir le drame.
Car ''L'orphelinat'' n'est pas aussi terrifiant, il est aussi très émouvant. Il y a bien entendu comme moteur émotionnel le chagrin de cette femme face à la disparition de son fils (lequel doit pour survivre prendre régulièrement ses médicaments). Mais c'est davantage le rapport qu'entretiennent les adultes avec l'imaginaire et le monde de l'enfance qui bouleverse. On peut tirer du film deux morales. La première est explicite, et prononcé par Géraldine Chaplin ; ''il faut croire pour voir et non voir pour croire''. Les parents ne peuvent entrer dans le monde imaginaire que s'est confectionné Simon pas parce qu'ils ne le voient pas, mais parce qu'ils n'y croient pas. L'imaginaire peut exister, il suffit d'y croire. Cette morale, néfaste pris par exemple au sens religieux (cette phrase peut justifier de manière naive l'existence de Dieu) est dans un contexte féerique parfaitement logique. Dans le film, l'enfant est l'être capable d'accéder au monde parallèle via son imaginaire. Faculté ou don que l'enfant peut perdre en grandissant : d'où l'expression ''perdre son âme d'enfant''. Le film retrace la façon qu'adoptera Laura pour retrouver son âme d'enfant, dans le but d'accéder au monde où se dissimule son fils. C'est alors qu'on arrive à la deuxième morale du film : il faut toujours écouter les enfants. Et comprendre et jouer leur rôle car il serait regrettable que l'enfant reste prisonnier de son monde à jamais.
A la fin, déchirante, Laura parvient trop tardivement à découvrir le monde de Simon, lequel est mort dans la chambre de Thomas (enfermé accidentellement par sa mère). Ça y est, le drame atteint le paroxysme au moment où Laura se suicide. Pourtant, on l'a vu dans le film : d'autres mondes sont possibles. Et malgré cette fin tragique, il semble que la mort des enfants, puis de Simon et enfin de Laura débouche sur un monde merveilleux où jouer est la seule occupation : Laura dans la mort, accompli son rêve qui était de s'occuper de plusieurs enfants. Il y a ce plan, d'une charge émotionnelle inouie où on voit Laura entouré de tous ces enfants, lesquels ne voulaient qu'une nouvelle maman.
Les critiques ont tendance à rapprocher ''L'ophelinat'' de ''Les Autres'', de ''Suspiria'' d'Argento et même des œuvres du producteur Guillermo Del Toro. Et comme on l'a vu, Bayona dit s'inspirer de Polansky. Pourtant, il semble qu'une influence plus lointaine existe. Une influence plus qu'évidente et qui tombe sous le sens : c'est celle d'Otto Preminger. Et plus précisément de sa ''Bunny Lake a disparu'' (1965). dès le générique, l'inspiration est évidente : des mains déchirent un papier peint, sous lequel se cache le nom des auteurs du film. Le générique de ''L'orphelinat'' n'ajoute que la couleur au superbe générique de Saul Bass (qui il est vrai devait aussi beaucoup à la musique de Paul Glass). Et puis bien sûr, il y a le sujet qui est très proche : un enfant disparaît, sa mère semble basculer dans la folie. Le monde enfantin se trouve au centre de ''Bunny Lake a disparu'' et de ''L'orphelinat''. Un monde en proie à une grande noirceur, mais aussi à une innocence pleine d'espoir. Ultime référence à Preminger, est-ce un hasard si dans un film sur une disparition, l'héroïne se nomme Laura ?
L'enfance est indubitablement un vivier du cinéma d'épouvante. Cela se confirme en regardant quels sont les films couronnés à Gérardmer en 2003, 2008 et 2009 : ''Dark Water'' (Hideo Nakata, 2003), ''Morse'' (Tomas Alfredson, 2008) et enfin ''L'orphelinat''. Trois films où les enfants sont guettés par une terrible menace : la solitude. 3 chef-d'oeuvre où les enfants parviennent à trouver leur salut en se trouvant une mère (''Dark Water'' et ''L'orpheliant'') ou une protectrice (''Morse'').