A Serious Man est un film qui ne dit rien, c'est là sa plus grande qualité. Et c'est d'autant plus fort et ingénieux que le film n'est rien d'autre qu'un ramassis de clichés, du moins dans sa situation de départ. Soit celle d'un américain moyen ( marié, deux enfants ) bientôt confronté à une crise existentielle. Bien sûr sa femme ne l'aime plus, et ses enfants ne voient en lui qu'un distributeur de billets. Mais les Coen transcendent ces premiers stéréotypes par la manière dont ils développent leur intrigue : le personnage principal n'agira que très peu, et tout le film sera le portrait d'un homme passif, qui laisse glisser les aléas de la vie sur lui. Le scénario du film est un véritable modèle du genre puisqu'il détourne les codes habituels ( un héros, ça agit ) pour créer un personnage peu actif. Ou plutôt faudrait-il dire que ce personnage a la volonté d'agir ( l'obligation ? ) mais que toutes ses tentatives sont des échecs cuisants. Ce processus de l'échec a un rapport direct avec la première institution que les Coen flinguent avec une acuité redoutable : la religion.
A Serious Man est un film autant américain que juif, et c'est un peu normal puisque ces deux épithètes correspondent aux frères Coen. Pour autant le film est universel, et si le folklore et le monde qu'il met en place peuvent a priori paraître peu accessibles, il n'en est rien puisqu'à travers le judaïsme c'est la religion en général qui est ciblée. Les Coen pointent du doigt l'incapacité des instances religieuses à aider leurs prochains, leur hypocrisie, cette manière de rater la jonction entre écrits théoriques et actes concrets. Le personnage principal ne cesse d'appeler à l'aide, mais se cogne à l'impossibilité que rencontre la religion face aux faits pratiques. Le film montre des rabbins aussi inactifs et mornes que son personnage principal, des chefs " spirituels " assis à longueur de journée, qui entendent plus qu'ils n'écoutent et qui bavardent plus qu'ils ne parlent. Surtout, A Serious Man semble dire toute la vacuité de la religion, qui chercherait des réponses impossibles, qui voudrait donner un sens à la vie alors qu'il n'y a rien de plus absurde que cette dernière ( l'anecdote des dents en est un exemple ). Les Coen font preuve d'une remarquable sagesse, qui se double de poésie, puisqu'ils montrent la vie telle qu'elle est. Le message sur la religion est donc clair, et A Serious Man serait donc un film qui dit des choses ? Oui, forcément. Sauf qu'il n'a jamais l'air de les dire, qu'il n'est pas de ce genre de films qui assène des messages. Il se contente de décrire, d'observer les choses avec un recul considérable.
Il est possible de voir A Serious Man comme une sorte d'héritier d'American Beauty, à la différence qu'il prend des chemins détournés pour proposer une réflexion stimulante sur l'existence. Le prologue du film, totalement détaché du récit qui suivra, est un exemple de la capacité qu'ont les Coen à dérouter le spectateur tout en conservant dans leur discours une unité thématique ( ici, l'absurdité de l'existence ). L'intelligence de l'oeuvre réside dans sa manière effacée et discrète d'interpeler le spectateur. A Serious Man est donc un film qui ne dit rien, mais il le dit mieux que quiconque.